Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte
votre
garde.
» Une foule de voix : Appuyé !
» Talot : Le conseil
des Anciens n’avait pas le droit de nommer un général ;
Bonaparte n’a pas eu le droit de pénétrer dans cette enceinte sans
y être mandé. Quant à vous, vous ne pouvez rester plus longtemps
dans une telle position ; vous devez retourner à Paris.
Marchez-y revêtus de votre costume, et votre retour y sera protégé
par les citoyens et les soldats ; vous reconnaîtrez à
l’attitude des militaires qu’ils sont les défenseurs de la patrie.
Je demande qu’à l’instant vous décrétiez que les troupes qui sont
actuellement dans cette commune fassent partie de votre garde. Je
demande que vous adressiez un message au conseil des Anciens, pour
l’inviter à rendre un décret qui vous ramène à Paris.
» Destrem : J’appuie
l’avis de Talot.
» Blin : Six mille
hommes sont autour de vous ; déclarez qu’ils font partie de la
garde du Corps législatif.
» Delbrel : À
l’exception de la garde du Directoire. Marche, président, mets aux
voix cette proposition.
» On demande à grand cris le vote.
» Lucien Bonaparte : Je
ne m’oppose point à la proposition ; mais je dois faire
observer qu’ici les soupçons paraissent s’élever avec bien de la
rapidité et peu de fondement. Un mouvement, même irrégulier,
aurait-il déjà fait oublier tant de services rendus à la
liberté ?
» Une foule de voix : Non, non, on ne les oubliera pas !
» Lucien Bonaparte : Je
demande qu’avant de prendre une mesure, vous appeliez le
général.
» Beaucoup de voix : Nous ne le reconnaissons pas.
» Lucien Bonaparte : Je
n’insisterai pas davantage. Quand le calme sera rétabli dans cette
enceinte ; quand l’inconvenance extraordinaire qui s’est
manifestée sera calmée, vous rendrez justice à qui elle est due,
dans le silence des passions.
» Une foule de voix :
Au fait !… au fait !…
» Lucien Bonaparte : Je
dois renoncer à être entendu ; et, n’en ayant plus le moyen,
je déclare déposer sur la tribune les marques de la magistrature
populaire.
» Lucien Bonaparte, dépouillé de son
costume, descend de la tribune. Un peloton de grenadiers du Corps
législatif entre. Un officier du Corps des grenadiers est à sa
tête. Le piquet, arrivé à la tribune enlève Lucien Bonaparte et
l’emmène dans ses rangs hors de la salle. »
Voilà le guet-apens bien réussi ; quand
la ruse et le mensonge ne suffisent pas, quand les gens ne se
laissent pas tromper, on emploie la force !
« Le tumulte éclate, les cris de fureur
et d’indignation. Le pas de charge se fait entendre dans les
escaliers qui conduisent à la salle. Les spectateurs s’élancent aux
fenêtres. Les représentants du peuple sont debout et crient :
« Vive la république ! » Des grenadiers, l’arme au
bras, envahissent le temple des lois, le général Leclerc à leur
tête.
» Le général Leclerc élevant la
voix :
– Citoyens représentants, on ne répond
plus de la sûreté du conseil. Je vous invite à vous retirer.
» Les cris de « Vive la
république ! » recommencent. Un officier des grenadiers
du Corps législatif monte au bureau du président :
» – Représentants, s’écrie-t-il,
retirez-vous, le général a donné des ordres.
» Le tumulte le plus violent continue.
Les représentants restent en place. Un officier s’écrie :
« Grenadiers, en avant ! » Le tambour bat la charge.
Le corps des grenadiers s’établit au milieu de la salle. L’ordre de
faire évacuer la salle est donné par le général Leclerc, et
s’exécute au bruit d’un roulement de tambours, pour couvrir les
cris d’indignation et les protestations des députés. »
Je connais des écrivains qui dans le temps ont
glorifié cela, et que d’autres Bonaparte ont fait empoigner et
conduire en prison la nuit, comme des voleurs. Franchement ils
l’avaient bien mérité. Quand on enseigne au peuple le respect et
l’admiration de la ruse et de la violence ; quand on n’a pas
un cri pour relever le cœur des honnêtes gens et flétrir le crime,
eh bien, il faut vous appliquer vos leçons ; cela raffermit la
morale de ceux qui pensent que la justice est éternelle et qu’elle
s’exécute même quelquefois en ce monde.
Quant au reste de ce 19 Brumaire, vous savez
déjà que la majorité des Anciens, gagnée par Sieyès, était du
complot. Ils tremblaient dans l’aile droite du palais. Le
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