Hitler m'a dit
ambitieux médiocres, tous ceux dont les aspirations n’ont pas trouvé satisfaction, et qui naguère se faisaient nudistes, végétariens, édeniens, ennemis de la vaccination, anticléricaux fanatiques, biosophes, ces réformateurs de tout poil qui érigeaient leurs marottes en systèmes ou fondaient des religions de bazar, tous ces dévoyés s’entassent maintenant avec enthousiasme dans la nacelle du gigantesque ballon nazi, pour tenter de monter plus haut qu’ils n’avaient pu le faire dans leurs conventicules. C’est le romantisme rabougri, la vanité refoulée, le fanatisme haineux de ces petits sectaires qui anime le grand fanatisme collectif du parti nazi et le maintient en vie comme une promesse d’assouvissement. Pour tous les ratés et les déshérités des pays allemands, le national-socialisme est une sorte de conjuration magique. Hitler lui-même n’est que le premier d’entre eux, le grand-prêtre ou le pape de la nouvelle religion secrète. Réchauffe de cette adulation et entoure de ce culte imbécile, il n’est pas éloigné de croire, à certaines heures, qu’il est, en effet, doué de pouvoirs surhumains. Mais dès qu’il descend de la tribune ou revient de ses courses solitaires dans les montagnes, il retombe dans l’abattement et la léthargie, incapable de tout courage et de toute décision. Il lui faut alors des interlocuteurs, des auditeurs qui l’excitent à parler et à se prouver à lui-même qu’il n’est pas encore au bout de ses forces.
J’ai été souvent, comme tant d’autres, l’auditeur dont Hitler s’emparait pour se convaincre lui-même. C’est ainsi qu’il m’a révélé, par fragments, sa « philosophie », ses vues générales sur la morale, la destinée humaine et le sens de l’histoire. C’était du Nietzsche mal digéré et plus ou moins amalgamé avec les idées vulgarisées d’une certaine tendance « pragmatiste » de la philosophie contemporaine. Hitler m’exposait tout cela avec les gestes d’un prophète et d’un génie créateur. Il semblait convaincu d’exprimer des idées qui lui étaient personnelles. Il n’en connaissait pas l’origine, il pensait ne les devoir qu’à ses méditations solitaires dans les montagnes. Voici quelques-unes de ces révélations que j’ai notées comme des aphorismes en les dégageant de leur contexte :
« Nous sommes à la fin du siècle de la raison, la souveraineté de l’esprit est une dégradation pathologique de la vie normale.
« Il y a eu les temps antiques. Il y a notre mouvement. Entre les deux, l’âge moyen de l’humanité, le moyen âge, qui a duré jusqu’à nous et que nous allons clore.
« Les Tables de la Loi du Sinaï ont perdu toute valeur.
« La conscience est une invention judaïque ; c’est, comme la circoncision, une mutilation de l’homme.
« Il n’y a pas de vérité, ni dans le sens moral, ni dans le sens scientifique.
« L’idée d’une science libre, indépendante de l’utilité, ne pouvait surgir qu’à l’époque du libéralisme. Cette idée est absurde.
« La science est un phénomène social, et comme tous les phénomènes sociaux, elle n’a pour limites légitimes que le profit ou le dommage qu’elle apporte à la communauté.
« Avec le slogan de la science objective, la corporation des professeurs a voulu simplement se libérer de la surveillance nécessaire des pouvoirs publics.
« Ce qu’on appelle la crise de la science n’est rien d’autre que la mauvaise conscience des savants. La question préalable à toute activité scientifique est de savoir qui veut savoir. Il n’existe donc jamais que la science d’un groupe humain défini dans une époque définie. Il y a très certainement une science nordique et une science national-socialiste, qui doivent se trouver en opposition avec la science judéo-libérale, laquelle ne remplit plus son rôle, et se détruit elle-même.
« On n’approche le mystère du monde que dans l’exaltation des sentiments et dans l’action. Je n’aime pas Goethe ; mais je suis prêt à lui pardonner beaucoup à cause de cette seule phrase : « Au commencement était l’action. » Seul l’homme qui agit peut appréhender le sens du monde. L’homme emploie mal sa raison. Elle n’est pas la source de je ne sais quelle dignité ou supériorité individuelle, mais simplement une arme dans la lutte pour la vie. L’homme est fait pour agir. Contempler l’univers, spéculer sur le passé,
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