Hitler m'a dit
appréhensions qui préoccupaient toute personne en contact avec Hitler : chacun se rendait compte qu’il s’abandonnait à des influences maléfiques dont il n’était plus le maître. Alors qu’il se croyait encore l’arbitre de son propre destin, il s’était déjà laissé Prendre dans une sorte d’envoûtement satanique dont il ne pouvait plus se dégager. Au lieu d’un homme qui, s’élevant d’une étape à l’autre, se purifiait graduellement des mauvais souvenirs d’une jeunesse douteuse, qui se libérait de sa gangue et s’efforçait de devenir meilleur, on voyait au rang suprême une sorte de possédé, de maniaque, chaque jour plus absorbé dans son idée fixe, plus complètement esclave et impuissant, la proie de puissances qui s’étaient emparées de lui et qui ne le lâcheraient plus jamais. Hitler aurait-il encore pu s’engager dans une autre voie ? Un grand nombre d’entre nous, qui le connaissions bien, s’obstinaient à le penser. Beaucoup espéraient encore un changement sans se rendre compte qu’il était déjà trop tard. L’obstacle qui bloquait sa route, ce n’étaient pas seulement les hommes avec lesquels il s’était élevé qui s’accrochaient à lui comme le poids d’un passé trouble. Hitler, en ne les rejetant pas dans les bienheureuses ténèbres d’où ils avaient émergé, avait sans aucun doute commis une faute qui a pesé sur toute la suite de son destin. Combien de bonnes volontés n’y avait-il pas dans le parti ? Quelles forces se seraient mises à la disposition d’Hitler s’il s’était débarrassé de tous ces gangsters qui montaient la garde autour de lui ! Mais ce n’était pas seulement une question d’entourage. La cause profonde de sa course à l’abîme, c’était sa faiblesse de volonté. C’est une illusion de croire qu’Hitler est un grand volontaire. Au fond de son être, il est veule et apathique. Il a besoin d’excitations nerveuses pour sortir de sa léthargie chronique et se rendre capable d’actions brusques et violentes. Il a choisi délibérément la pente facile, il s’est laissé glisser, il s’est livré aux forces qui l’entraînaient vers la chute.
Certains de ses propos montraient qu’il avait tout de même une idée assez exacte de la mission utile qu’il eût pu remplir. Mais ces velléités n’étaient qu’une sorte de fuite dans un monde irréel où il cherchait des raisons de se relever dans sa propre estime.
Hitler ne voulait pas être un dictateur. Mais il n’était pas non plus un bâton flottant sur l’eau, il savait toujours marcher avec les gros bataillons. Il avait lui-même répété cent fois qu’on devait toujours choisir comme adversaire le plus faible et comme allié, le plus fort. Si vulgaire que fut cette maxime, il croyait qu’elle contenait la substance de toute action politique. Il y a une chose qu’Hitler n’a jamais faite : il ne s’est jamais mis en opposition avec ses Gauleiter, avec ces hommes dont chacun séparément était dans sa main, mais qui, réunis, le tenaient captif. Il a toujours su manœuvrer pour avoir en cas de conflit, la majorité de son côté. Le secret de sa domination était de pressentir comment se prononcerait la majorité de ses Gauleiter et d’opter d’avance pour l’avis du plus grand nombre, avant que personne n’eut pris la parole. De la sorte, il avait toujours raison et l’opposition était toujours dans son tort. Ses Gauleiter veillaient jalousement sur leurs prérogatives. Ils formaient un cercle extrêmement fermé et se défendaient avec une unanimité brutale contre toute tentative de limiter leur omnipotence. Hitler dépendait d’eux. Et ce n’est pas d’eux seulement qu’il dépendait.
Hitler n’était pas un dictateur. Il se laissait pousser par des forces extérieures souvent même contre sa propre conviction. C’est la somme de ces forces qui le poussait en avant. Et c’est ainsi que sa politique s’est développée dans un sens bien différent de ses conceptions primitives. Il additionnait ces forces et en faisait le numérateur de la fraction dont il était lui-même le dénominateur. Sans doute, il conservait la tête, mais en perdant sa liberté de décision.
Mes relations personnelles avec le parti étaient devenues impossibles. Après mon retour de Genève, le parti émit la prétention de supprimer la constitution de Dantzig, d’ouvrir la lutte pour se libérer de la tutelle de Genève et de pratiquer une
Weitere Kostenlose Bücher