Hitler m'a dit
comme font tous les intellectuels, c’est se rayer soi-même du registre des vivants et se compter parmi les morts.
« Tout acte a son sens, même le crime.
« Toute passivité, toute persistance est contraire au sens de la vie. De là sort le droit divin d’anéantir tout ce qui dure.
« Le mot même de « crime » est une survivance d’un monde passé. Je ne distingue qu’activité positive et activité négative. N’importe quel crime, dans le vieux sens du mot, est encore un acte de plus grande valeur que l’immobilité bourgeoise. Un acte peut être négatif du point de vue de l’intérêt commun ? il faut alors l’empêcher. Au moins, c’est encore un acte.
« Méfions-nous de l’esprit, de la conscience, et fions-nous à nos instincts. Revenons à l’enfance, refaisons-nous une naïveté.
« On nous jette l’anathème comme à des ennemis de l’esprit. Eh bien, oui, c’est ce que nous sommes. Mais dans un sens bien plus profond que la science bourgeoise, dans son orgueil imbécile, ne l’a jamais rêvé.
« Je remercie mon destin de ce qu’il m’a épargné les œillères d’une éducation scientifique. J’ai pu me tenir libre de nombreux préjugés simplistes. Je m’en trouve bien aujourd’hui. Je juge de tout avec une impartialité monumentale et une âme de glace.
« La Providence m’a désigné pour être le grand libérateur de l’humanité. J’affranchis l’homme de la contrainte d’une raison qui voudrait être son propre but ; je le libère d’une avilissante chimère qu’on appelle conscience ou morale, et des exigences d’une liberté individuelle que très peu d’hommes sont capables de supporter.
« À la doctrine chrétienne du primat de la conscience individuelle et de la responsabilité personnelle, j’oppose la doctrine libératrice de la nullité de l’individu et de sa survivance dans l’immortalité visible de la nation. Je supprime le dogme du rachat des hommes par la souffrance et par la mort d’un Sauveur divin et propose un dogme nouveau de la substitution des mérites : le rachat des individus par la vie et l’action du nouveau législateur-Führer, qui vient soulager les masses du fardeau de la liberté. »
De telles phrases, prononcées avec l’autorité du Führer et dans le décor de sa vie quotidienne, faisaient a l’interlocuteur l’impression de révélations profondes. Hitler était d’ailleurs encore plus convaincu de sa propre originalité. Il ressentait comme une injure et une atteinte à sa grandeur tout rappel de doctrines antérieures qui lui auraient frayé la voie. Il ignorait, comme tous les autodidactes, que certaines idées sont « dans l’air » et hantent beaucoup de cerveaux dans une même époque. Ce qui était vrai, en dehors de cette espèce de jalousie qu’il éprouvait à l’égard de toute concurrence intellectuelle, c’est que personne ne pouvait rivaliser avec lui pour tirer de doctrines devenues banales des conséquences radicales et révolutionnaires. Il ne taisait d’ailleurs qu’esquisser sa « révolution » ; il en gardait pour lui les dernières perspectives, il se plaisait à entretenir une crainte universelle du Surhomme qu’il croyait être. Mais l’impression qu’emportait l’auditeur après ces demi-confidences, c’est qu’Hitler s’approchait dangereusement de la limite que Nietzsche avait lui-même franchie lorsqu’il s’était annoncé comme le nouveau Dionysos et l’incarnation de l’Antéchrist.
XXXVIII
DIVAGATIONS WAGNÉRIENNES
OU PARSIFAL AU POUVOIR
Hitler refusait d’admettre qu’il eût des précurseurs. Il ne faisait d’exception que pour Richard Wagner.
Il me demanda un jour si j’avais été à Bayreuth. Je lui dis que, dans ma jeunesse, j’avais aimé passionnément la musique, que j’avais été de nombreuses fois à Bayreuth, et que du reste, j’avais fait de sérieuses études musicales à Munich. J’étais un élève de Thuille.
Hitler me répondit qu’il pensait à autre chose qu’à la musique. Lui aussi, connaissait Thuille et les néo-romantiques. Leur musique était convenable, sans plus. Mais aucun de ces épigones ne savait ce que Wagner était en réalité ? Hitler ne pensait pas uniquement à son génie musical, mais à toute la doctrine wagnérienne de la culture germanique, doctrine révolutionnaire jusque dans le moindre détail. Est-ce que je savais, par exemple, que Wagner avait attribué pour une grande part, la
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