Hitler m'a dit
remuer, c’est toute la substance de cette fameuse doctrine. Mais c’est aussi le principe d’action des hystériques. Un monde aussi instable qu’Hitler, un peuple allemand non moins hystérique, devaient en arriver à ceci, qu’un tel homme devînt un chef.
— « Le temps travaille pour nous. Il me suffira de foncer devant moi et aussitôt tomberont les défenses d’une époque condamnée. Si solides que paraissent encore institutions et nations, elles sont pourries de l’intérieur et tombent en pièces. » Ainsi s’exprime Hitler. Peut-être a-t-il raison. Au temps où nous sommes, toutes les valeurs sont plus ou moins discutées et il semble qu’elles se dissolvent d’elles-mêmes. D’où cet appétit du changement à tout prix qui n’est pas propre à Hitler. D’où les succès de sa propagande. Détruire pour le plaisir de détruire, tel est le mobile véritable de cet aventurier insensé. « Nous ne connaissons pas encore notre propre création dans toute son ampleur », m’a-t-il dit à plusieurs reprises. « Mais nous avons cet avenir dans le sang et nous le vivons. » C’est de la littérature et de la mauvaise littérature. Elle date de la fin du dernier siècle. À cette époque florissait en Allemagne une sorte de romantisme hystérique, professé surtout à Vienne et à Munich.
Ce n’est pas la première fois que des miasmes empestés s’accumulent dans une époque et que le délire de peuples entiers se condense dans des doctrines qui peuvent couver, pour ainsi dire, pendant une longue période, pour exploser brusquement et reproduire la pestilence dont elles sont nées. Des nations entières sont tombées brusquement dans une inexplicable agitation. Elles entreprennent des marches de flagellants ; une danse de Saint-Guy les secoue. L’impulsion démoniaque et la folie religieuse s’unissent.
Ce qui se passe en Allemagne est du même ordre. C’est une maladie de l’âme des masses, dont on peut, sans doute, rechercher les origines, mais dont les racines les plus profondes restent dans les régions cachées. Le national-socialisme est la danse de Saint-Guy du XX e siècle.
XLIII
HITLER TEL QU’IL SE VOIT
ET TEL QU’IL EST
Hitler est-il fou ? Tous ceux qui ont eu l’occasion de le rencontrer se sont très certainement posé cette question. Quiconque a vu cet homme en face, avec son regard instable, sans profondeur ni chaleur, quiconque a voulu fouiller ces yeux fuyants qui, derrière leur clarté froide, semblent verrouillés, sans arrière-plan, puis les a vus prendre brusquement une fixité étrange, a dû éprouver comme moi l’inquiétante sensation de se trouver en présence d’un être anormal. On le voyait des quarts d’heure durant, apathique, silencieux, ne levant même pas les paupières et se curant les dents d’un geste affreusement vulgaire. Écoutait-il ? Était-il absent ? Jamais, à ma connaissance, un visiteur quelconque n’a eu un vrai dialogue avec lui. Ou bien Hitler écoutait sans rien dire ou bien il parlait sans écouter, à perte de vue. Souvent il tournait dans la pièce comme un fauve en cage. Il ne vous laissait jamais la parole. Il vous interrompait aux premiers mots, et sautait d’un sujet à un autre, incapable de retenir la fuite de ses pensées, incapable de se concentrer. Il ne m’appartient pas de juger si Hitler, au sens clinique du mot, est plus ou moins proche de la démence. Mon expérience personnelle, qui concorde avec celle de nombreuses personnes de ma connaissance, est que je me suis trouvé vingt fois en face d’un maniaque dépourvu de tout contrôle de ses émotions e t dont les crises allaient jusqu’à la déchéance complète de la personnalité. Ses cris, ses vociférations, ses explosions de fureur rappellent les trépignements d’un enfant gâté et rebelle. C’est un spectacle grotesque et repoussant, mais ce n’est pas encore de la folie. Sans doute, il est inquiétant qu’un homme d’un certain âge tambourine sur les murs comme un cheval piaffe dans sa stalle où se roule à terre. Symptômes morbides ou manifestations d’un tempérament grossier qu’aucune discipline ni aucune pudeur n’a jamais contenu ?
Ce qui est plus grave et indique déjà le dérangement de l’esprit, ce sont des phénomènes de persécution et de dédoublement de la personnalité. Son insomnie n’est vraiment autre chose que la surexcitation du système nerveux. Il s’éveille souvent la nuit. Il faut alors
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