Hitler m'a dit
lui est secousse et convulsion. Rien n’est naturel chez lui, à commencer par son amour pour les enfants ou les animaux. Ce n’est qu’une attitude. Il a gardé toute sa vie ses habitudes de bohème. Il se lève tard, il peut passer des journées entières à somnoler sans rien faire. Toute lecture suivie le rebute. Il ouvre un livre et le rejette au bout de quelques pages. Avec cela, il s’est fait une bibliothèque importante, il aime les livres, les belles éditions et les belles reliures. Dans son appartement de Munich, j’ai vu des murs entiers garnis de rayons. La sœur de Hess, qui est une artiste, lui a fait ses reliures. Ce qu’il lit le plus, ce sont les histoires de cow-boys et les romans policiers ; mais, dans le tiroir de sa table de chevet, on trouve également des illustrés qui ne se lisent que dans des cercles pornographiques.
Ce qu’il a de plus sympathique est le goût des promenades solitaires. Il se grise de l’odeur des bois en haute montagne. Ses promenades lui tiennent lieu de culte et de prière. Il contemple les nuages qui s’allongent et prête l’oreille aux gouttelettes qui tombent des pins. Il entend des voix.
Je l’ai rencontré ainsi. Il ne reconnaît alors personne, il veut être seul, et, à de certains moments, il fuit rigoureusement ses semblables.
Il est plein d’habitudes tyranniques et de manies. Il ne peut s’endormir que si son lit est fait d’une certaine manière, que si sa couverture retombe dans le pli. C’est un soin qu’il réserve à des serviteurs de toute confiance. Personne d’autre n’a permission d’y toucher. Complexe freudien ou peur des attentats ? À une certaine époque, Himmler avait reçu je ne sais quel rapport au sujet d’un poison mystérieux, d’une « poudre blanche » qui, répandue sur l’oreiller et aspirée pendant le sommeil devait corroder les poumons du Führer et provoquer sa mort dans des souffrances terribles.
Hitler n’est pas d’un naturel courageux comme Goering. Il est même craintif à l’excès. Il se prend ridiculement au sérieux ; son attitude n’est pas celle des hommes intrépides qui provoquent et défient le destin. Il se fait garder comme un objet précieux. Lorsqu’il s’expose, les mesures de sécurité sont extraordinaires ; mais il ne s’expose qu’en apparence. C’est un être timoré et douillet, qui fait de violents efforts pour avoir un peu de courage et de tenue. Il dépasse alors la mesure et fait preuve d’une brutalité sans nom. Pour affronter le moindre petit risque, il doit se plonger dans une sorte d’ivresse. Tout sang-froid naturel lui fait défaut.
Il lui faut toujours une élévation de température pour la moindre décision, pour l’action la plus simple ; il a besoin d’une certaine mise en scène, il doit se mettre à un certain diapason. Sorti de cette fièvre et de cette transe, il peut pendant des semaines entières, gémir de l’ingratitude de ses gens ou se plaindre de la malchance. Au cours de nos rencontres, il aimait à se poser en martyr et à se perdre dans la contemplation de sa mort prochaine. Tout, disait-il, serait inutile et ne servirait à rien. Il ne connaît qu’une seule pitié, c’est celle qu’il a pour lui-même.
Ses explosions de « volonté indomptable » n’en sont que plus étonnantes. Il ne connaît alors ni fatigue ni faim. Il vit d’une énergie maladive, qui lui permet d’accomplir des choses touchant au miracle. Sa parole même devient alors frénétique. Ce qui lui manque le plus, c’est l’équilibre. L’âge même ne semble lui apporter aucune sérénité. C’est pourquoi ses constructions les plus ambitieuses n’atteindront jamais à la vraie grandeur.
Hitler aimait autrefois à se montrer la cravache à la main. Il y a renoncé. Mais le caractère que trahissait cette habitude lui est resté : mépris, orgueil et cruauté. Hitler n’est jamais monté à cheval de sa vie ; mais les hautes bottes et la cravache témoignent de sa rancœur accumulée pendant des années, de l’humiliation qu’il éprouvait, dans le ruisseau, au passage des beaux cavaliers. Quelle affreuse jeunesse ! L’amertume qu’il en garde se révèle à l’occasion d’un mot tombé par hasard, d’une association d’idées. Des visiteurs sont restés stupéfaits devant ces changements subits d’attitude : sa bienveillance, évidente un instant auparavant, se changeait en vociférations hautaines. Le visiteur avait touché, sans
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