Hitler m'a dit
qu’on allume la lumière. Dans ces derniers temps, il fait venir des jeunes gens qu’il oblige de partager avec lui ses heures d’épouvante. À certains moments, ces états morbides prennent un caractère d’obsession. Une personne de son entourage m’a dit qu’il s’éveillait la nuit en poussant des cris convulsifs. Il appelle au secours. Assis sur le bord de son lit, il est comme paralysé. Il est saisi d’une panique qui le fait trembler au point de secouer le lit. Il profère des vociférations confuses et incompréhensibles. Il halète comme s’il était sur le point d’étouffer. La même personne m’a raconté une de ces crises avec des détails, que je me refuserais à croire, si ma source n’était aussi sûre. Hitler était debout, dans sa chambre, chancelant, regardant autour de lui d’un air égaré. – « C’est lui ! c’est lui ! Il est venu ici » gémissait-il. Ses lèvres étaient bleues. La sueur ruisselait à grosses gouttes. Subitement, il prononça des chiffres sans aucun sens, puis des mots, des bribes de phrases. C’était effroyable. Il employait des termes bizarrement assemblés, tout à fait étranges. Puis de nouveau, il était redevenu silencieux, mais en continuant de remuer les lèvres. On l’avait alors frictionné, on lui avait fait prendre une boisson. Puis subitement, il avait rugi : « Là ! Là ! dans le coin. Qui est là ? » Il frappait du pied le parquet et hurlait. On l’avait rassuré en lui disant qu’il ne se passait rien d’extraordinaire et alors il s’était calmé peu à peu. Ensuite, il avait dormi pendant de longues heures et était redevenu à peu près normal et supportable pour quelque temps.
On frémit en pensant que c’est un fou qui gouverne l’Allemagne et a précipité le monde dans la guerre. Sans compter que l’hystérie est contagieuse. On a vu de jeunes hommes normaux, perdre peu à peu leur personnalité et changer de caractère en vivant auprès d’une femme hystérique. Il est donc explicable que l’hystérie du maître ait gagné les dirigeants, les Gauleiter, les hauts fonctionnaires, les officiers et finalement le peuple tout entier. Mais comment se fait-il que de si nombreux visiteurs tombent en extase dès qu’ils voient Hitler et vivent désormais dans l’adoration de son génie dominateur ? Je ne parle pas de tout jeunes gens, mais d’hommes cultivés, riches d’expérience et de sens critique. Quel charme avaient donc subi ces gens pour ne parler qu’en balbutiant de ce qu’ils avaient ressenti ? Un auteur dramatique bien connu, Max Halbe, ami intime de notre vieux poète Gerhard Hauptmann m’a raconté une entrevue d’Hitler avec Hauptmann. L’auteur illustre des Tisserands, qui ne brille pas par la modestie, s’attendait, je suppose, à revivre la rencontre de Goethe avec Napoléon. Il espérait de tous ses vœux recueillir une parole historique. Quelle serait celle de ses œuvres dont Hitler, artiste lui-même, scruterait la profondeur avec la subtilité pénétrante du génie ? Certainement pas les Tisserands, mais peut-être Florian Geyer, drame national par excellence. Gerhart Hauptmann fut introduit. Le Führer lui secoua la main et le regarda dans les yeux. C’était le fameux regard dont tout le monde Parle, ce regard qui donne le frisson et dont un juriste haut placé et d’âge mûr me dit un jour que, l’ayant subi, il n’avait plus qu’un désir, celui de rentrer chez un pour se recueillir et assimiler ce souvenir unique, Hitler secoua encore une fois la main d’Hauptmann. C’est maintenant, pensaient les personnes présentes, que vont sortir les mots immortels qui entreront dans l’histoire. « C’est maintenant », pensait Hauptmann lui-même. Et le Führer du Reich, pour la troisième fois secoua la main du grand poète, puis il passa au visiteur suivant. Ce qui n’empêcha pas Gerhart Hauptmann de dire à ses amis, un peu plus tard, que cet entretien avait été le plus haut sommet et la récompense de toute sa vie…
Cet homme gauche et embarrassé, qui cherche vainement ses mots dès qu’il ne peut prendre le ton pathétique, n’exerce même pas l’attraction malsaine d’un geste malfaisant. C’est un homme tout à fait quelconque et vulgaire. Comment peut-il agir ainsi sur ses visiteurs ? On est obligé de penser aux médiums. La plupart du temps, ce sont des êtres ordinaires, insignifiants. Subitement il leur tombe comme du ciel des pouvoirs qui les
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