Hitler m'a dit
de procéder enfin au triage des hommes capables de prendre en mains les tâches les plus hautes, celles qui dépassaient le niveau de la politique quotidienne. Rosenberg termina en disant qu’il serait très possible que nous ayons un jour à supporter de pénibles échecs soit dans la politique extérieure, soit dans la politique économique, et que dans ce cas, il serait indispensable que le groupe des initiés fût toujours là, comme une sorte de clergé secret qui pourrait préserver, jusqu’à des temps plus favorables, les plans essentiels du national-socialisme, sans les confier à une organisation connue de tout le monde et par conséquent exposée à tous les coups.
Cette suggestion de Rosenberg était restée sans conséquences visibles. Hitler connaissait l’hostilité de ses Gauleiter et de ses S.A. à l’égard de tout ce qu’ils considéraient comme des « élucubrations d’intellectuels ». Cependant, l’idée d’un Ordre avait pris racine dans son cerveau. C’est un peu plus tard, et surtout sous l’influence de Ley, qu’il commença à la mettre en pratique, avec prudence, dans ses écoles nationales-socialistes de « Junker ». Il ne s’agissait pas seulement d’attirer la nouvelle jeunesse dans ces écoles. On y créait plutôt, comme le nom l’indique, une nouvelle et jeune noblesse qui devait constituer comme une sorte d’association fermée.
Hitler connaissait parfaitement les faiblesses de ses Gauleiter et des Führer supérieurs des S.A. et des S.S. Un jour où je m’étais plaint à lui du manque de compréhension de certains hommes du parti à Dantzig, il m’avait fait la remarque qu’il n’avait pas eu la possibilité de faire un choix scrupuleux, mais qu’il avait dû prendre ceux qui s’étaient offerts volontairement à lui. Il n’avait tenu qu’aux hommes plus cultivés de se joindre plus tôt à lui, alors que l’adhésion du parti représentait encore un danger et un sacrifice pour chacun de ses membres. À présent, il n’allait pas chasser ceux qui l’avaient servi fidèlement. Il les utiliserait jusqu’au bout tels qu’ils étaient. Et si c’était pour lui surcroît de difficultés que de traîner tous ces hommes à sa suite, il le faisait cependant pour préserver l’union du parti. Dans tous les cas, il ne trouverait jamais de collaborateurs plus fidèles. De plus intelligents, peut-être. Mais, l’intelligence et la fidélité vont rarement de pair. Hitler savait qu’il n’arriverait pas à faire l’éducation de bon nombre de ses lieutenants. C’étaient des sabreurs qui avaient pris leurs grades dans le combat quotidien. Leurs idées ne dépassaient guère l’idéologie la plus élémentaire du national-socialisme, apprise une fois pour toutes. Ils en avaient même oublié la plus grande part. Mais ils avaient appris à maintenir la masse dans la discipline et à se maintenir eux-mêmes au pouvoir. Il fallait que cette génération fût usée avant qu’on pût faire sortir du parti les catéchumènes du nouveau sacerdoce laïque. Hitler se résignait à tenir la présente génération des chefs à l’écart de ses pensées les plus profondes : la religion des hommes nouveaux, la création des surhommes.
Hitler repoussait la tentation de révéler prématurément ses projets les plus chers. Le national-socialisme était encore au début de son ascension. Il fallait achever la lutte politique et préparer la guerre mondiale qui viendrait inévitablement. Il lui fallait d’abord, comme le vieux Fritz, le roi de Prusse, son modèle et son maître, avoir ses guerres derrière lui. Alors seulement il pourrait s’attaquer à la véritable reconstruction de l’Allemagne. Hitler a souvent agité de telles pensées au cours de ses conversations. Et l’on sentait l’impatience dévorante qui se cachait derrière sa résignation, l’impatience d’arriver enfin à son domaine personnel, au domaine de l’homme d’État créateur et législateur, de l’artiste et du constructeur de villes, du prophète et du fondateur de religion.
— « C’est avec la jeunesse que je commencerai ma grande œuvre éducatrice, dit Hitler. Nous, les vieux, nous sommes usés. Oui, nous sommes déjà vieux. Nous sommes gâtés jusqu’à la moelle. Nous n’avons plus d’instincts sauvages. Nous sommes lâches, nous sommes sentimentaux. Nous portons le poids d’une histoire humiliante et le souvenir confus des époques d’asservissement et
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