Hitler m'a dit
légendaire, presque toujours sans chapeau, dans son costume composé d’un veston civil et du pantalon d’uniforme du parti.
Pour le déjeuner, le menu était invariable : un potage, un plat de viande, des légumes et des entremets. Hitler ne mangeait pas de viande ; mais en revanche, il absorbait une invraisemblable quantité de plats sucrés, et son cuisinier personnel, vieux militant du parti, lui préparait des plats spéciaux de légumes. Toutefois, Hitler n’imposait pas son régime végétarien à ses hôtes. Il admettait même qu’on servît de l’alcool à sa table sous forme de bière. On avait le choix entre la bière et la limonade, et c’était un spectacle amusant de voir certains invités, militants zélés du parti loucher vers le Führer et choisir ostensiblement la limonade, afin de se faire bien voir de l’ascétique chancelier.
D’habitude, le groupe des élus était assez disparate. Il y avait toujours une personnalité saillante, une vedette de film, un artiste, ou encore, un manitou du parti. Les femmes étaient admises, mais presque toujours en minorité. Je me rappelle une ou deux beautés blondes d’un éclat exceptionnel. Quelques dames de la société aristocratique coudoyaient les femmes de théâtre et les artistes. C’est à un de ces déjeuners que j’ai été présenté à la sœur de Rudolf Hess, une artiste pleine de talent. C’était elle qui reliait les livres d’Hitler.
Le prince Auguste-Guillaume de Prusse était un des hôtes les plus assidus. Nazi convaincu et charmant causeur, il était moins brillant à la tribune ou comme homme politique. Je le connaissais depuis longtemps, ainsi que son jeune frère Oskar. À l’époque où ils servaient au corps des cadets, à Potsdam, les deux princes venaient fréquemment chez nous pour jouer au tennis ou au football. À cette époque, Hitler traitait le prince avec déférence. Et dans les milieux conservateurs, on caressait l’espoir de voir Hitler faire d’« Auwi » un nouveau Kaiser.
On rencontrait aussi à la table du Führer un personnage qui, pour ainsi dire, faisait partie du mobilier : Puzzi Hanfstängel, dont la compétence universelle et les talents linguistiques étaient fort appréciés, et dont le crâne bizarrement cabossé attirait encore plus l’attention que les paroles qu’il prononçait. Goebbels venait le plus souvent possible. Il tenait à se montrer constamment aux yeux d’Hitler, sachant bien que les absents ont toujours tort. Parmi les autres commensaux, il faut encore signaler l’immense Brückner, l’aide de camp d’Hitler, et Sepp Dietrich. Bien entendu, tous les chefs du parti qui se trouvaient de passage à Berlin étaient admis à la table du maître.
À ces déjeuners, on échangeait librement toutes sortes de propos. Hitler restait le plus souvent silencieux, ou ne jetait dans la conversation que de courtes phrases ; puis, brusquement, d’une voix tonitruante qui couvrait toutes les autres, il pontifiait et vaticinait. C’est dans ces moments qu’on se rendait compte que, pour produire un effet d’éloquence, il lui fallait, monter considérablement sa voix et précipiter son débit. Il était impossible d’avoir une conversation normale avec lui. Ou bien, il observait un mutisme complet, ou bien, il ne laissait pas son interlocuteur placer un seul mot. Il saute aux yeux que l’éloquence d’Hitler n’est pas un don naturel, et qu’elle a dû vaincre certains obstacles intérieurs qui, dans la conversation privée, lui ôtent tous ses moyens. La violence qu’il fait à ses dispositions naturelles, le caractère artificiel qu’il s’est construit se manifestent surtout dans les réceptions intimes ; il s’y trouve surtout gêné par l’absence totale de toute espèce d’humour ou de gaieté. Le rire d’Hitler n’est guère autre chose qu’une forme de l’insulte et du mépris. Il ne connaît jamais la détente ni la paix intérieure. Le hasard m’a fait connaître, à un de ces déjeuners, son opinion sur l’humour. J’étais assis en face de lui. Goebbels était à sa gauche et lui parlait de la feuille humoristique du parti. Aux yeux d’Hitler, l’esprit et l’humour n’étaient que des armes pour la propagande. C’est alors qu’il proféra ce jugement lapidaire qui fit le tour du parti, sur le Stürmer et de ses caricatures de Juifs : « Ce journal est la forme de pornographie autorisée dans le III e Reich. » Hitler prenait un plaisir
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