Hitler m'a dit
devait être de courte durée. Mais, dans chacune de ses paroles, on sentait déborder la haine de l’Autriche. La haine et le mépris de sa patrie d’origine.
— « Cette Autriche est enjuivée. Vienne n’est plus une ville allemande. On n’y trouve plus que des métis slaves. Un Allemand convenable n’est plus rien. Les curés et les Juifs gouvernent. Il faut écraser cette vermine ! » Tout en parlant, il nous invitait à nous servir. Les Dantzikois assis à sa table l’écoutaient avec ahurissement. Hitler dit qu’il se chargeait d’assainir l’Autriche pourrie : « L’Autriche a besoin d’être régénérée par le Reich. Ce Dollfuss, ces écrivains vendus, ces ambitieux de boutique, ces nains qui veulent jouer aux hommes d’État et qui ne voient pas qu’ils sont des pantins dont les Anglais et les Français tirent les ficelles, je vais enfin leur demander des comptes. Je sais bien que nous ne pouvons pas faire immédiatement l’Anschluss. Mais pourquoi les Autrichiens se refusent-ils à toute politique allemande ? » Il se chargerait, dit-il encore, de balayer cette racaille. « Qu’on ne nous raconte plus de bobards. Il n’y a plus d’Autriche. Ce qu’on appelle ainsi n’est plus qu’un cadavre. L’Autriche doit être colonisée par le Reich et il n’est que temps. Encore une génération, et ce pays serait perdu à tout jamais pour le germanisme. Ces gens ne savent même plus ce que veut dire le mot : Allemand. »
Il fallait donc entreprendre toute une besogne de rééducation. Il s’en chargeait. Il mènerait les Autrichiens avec la schlague et la botte ferrée. Il leur ferait suer leur vin de Grinzing, leur nonchalance et leur flânerie. Il nettoierait Vienne de la musiquette et de la confiserie. Et il leur ferait perdre le goût de rêver à la restauration des Habsbourg et autres fadaises. Mais le plus pressant était de se débarrasser des Juifs. Ce serait dur. Mais il en viendrait à bout et nous verrions sous peu l’Autriche nazifiée.
Hitler nous révélait ainsi qu’il avait un plan tout prêt pour le putsch en Autriche. Il ne cachait pas qu’il désirait le coup de force et qu’il se réjouissait de la résistance opposée par le gouvernement de Dollfuss. La passion qu’il mettait dans ses paroles traduisait sa convoitise d’une solution sanglante, d’une punition de l’Autriche, d’une sorte de vengeance. Peut-être était-ce le refoulement de la « marche sur Berlin » si longtemps désirée et jamais réalisée, qui s’exprimait dans ce désir passionné d’envahir son pays natal. Un souffle brûlant, fiévreux, flambant semblait sortir de sa bouche. L’entretien se terminait en monologue extatique. Hitler, cette fois encore, oubliait ses interlocuteurs et exhalait en haine son trouble intérieur. Brusquement, le soleil darda quelques rayons par les fenêtres du long couloir de la Chancellerie où avait lieu la réception. Le Chancelier recevait et parlait. En bas dans la cour, on entendait les commandements du poste de S.S., pendant la relève. « Je traînerai ce Dollfuss devant les juges », hurlait Hitler. « Cet homme ose me résister ! Représentez-vous ce la, Messieurs ! Ces gens-là me supplieront encore à genoux. Mais, je ne me laisserai pas fléchir et je les ferai tous exécuter comme des traîtres. » Une animosité personnelle, un ressentiment intense perçaient dans ces propos. On sentait qu’il voulait se venger de ses années de privations, de ses espérances déçues, de sa vie de pauvreté et d’humiliation. Il y eut un long silence. Hitler se rappelait ses invités, les pressait de boire et manger paysanne qui reçoit ses voisines. Des jeunes gens des S.S. apportaient des plateaux pleins de gâteaux et versaient le café.
Hitler avait fait allusion aux Juifs de Vienne. Il aborda la question juive. Il dit, en riant, que les Juifs étaient la meilleure sauvegarde pour l’Allemagne. Ils étaient pour lui le gage que l’étranger laisserait le Reich poursuivre tranquillement sa route. Si les démocraties ne voulaient pas lever leur boycott, il se paierait sur les Juifs de tout le dommage que le boycott causerait à l’Allemagne. « Vous verrez alors comme les gens du dehors cesseront vite leur propagande antiallemande. Les Juifs seront encore les bienfaiteurs de l’Allemagne ! » Les invités s’esclaffèrent. Un jour ou l’autre, évidemment, l’idylle cesserait pour les Juifs. Bien entendu, quand il n’y
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