Hitler m'a dit
aurait plus rien à leur prendre. Mais Hitler tiendrait toujours encore leur vie entre ses mains. La précieuse vie des Juifs ! De nouveau, l’assistance éclata de rire. Hitler lui-même devenait hilare : « Streicher m’a proposé de les mettre en avant de nos lignes de tirailleurs, dans la prochaine guerre. Il prétend que pour nos soldats ce serait la meilleure des protections. Je vais y réfléchir. » Cette nouvelle plaisanterie eut le don de déchaîner l’allégresse générale. Et Hitler, enthousiasmé de sa propre malice, exposa les mesures qu’il avait l’intention de prendre pour dépouiller progressivement mais impitoyablement les Juifs et les chasser d’Allemagne. – « Tous ces projets seront exécutés. Je ne me laisserai détourner par rien. » C’est principalement en 1938 que ces projets furent en effet mis à exécution. Sans aucun doute, tout avait été concerté et mûrement pesé depuis des années. Le pogrome fut tout autre chose qu’un réflexe de fureur après le meurtre de von Rath.
En 1933, après le premier pogrome en Allemagne, Hitler s’était vu dans l’obligation d’atténuer ses rigueurs contre les Juifs ; mais il n’en prenait que plus de soin de ne pas laisser s’endormir la rage antisémite. Par la suite, j’ai entendu Hitler plus d’une fois exprimer son opinion sur les Juifs. J’en reparlerai à l’occasion. Je ne touche à ce sujet, pour l’instant, que pour souligner l’étrange impression que me laissa ce goûter à la Chancellerie : une collation pacifique dans un mobilier provincial, des camarades politiques venus de partout, le Chancelier de la grande nation allemande les recevant familièrement, et, dans cette atmosphère intime, voilà de quoi l’on parlait : de tueries, de soulèvements, de prisons, d’assassinats, de spoliations ! Le contraste était grotesque entre le petit bourgeois gauche et mal dégrossi, au milieu d’autres Allemands moyens, et la férocité des rêveries criminelles auxquelles il s’abandonnait comme à son occupation la plus naturelle. La vérité, c’est que ces petits bourgeois arrivés à la puissance ne sont pas du tout de bons provinciaux bien placides qui, réunis, plastronnent et paradent pour s’étonner mutuellement. Ce sont des ratés de la société normale qui crèvent de haine refoulée, d’envie, de jalousie. Ils s’apprêtent véritablement à saccager le monde, ils s’affublent des oripeaux de l’époque païenne la plus barbare ou se déguisent en brigands de la Renaissance. Spectacle grotesque, en vérité, que celui du chef de bande parmi ses sicaires : Aucun mot d’enthousiasme, aucune exhortation morale, aucune pensée de sollicitude pour les soucis possibles de ses hôtes. « Que m’importe, à moi, le bonheur ou le malheur des autres ! » s’écriait un jour Hitler devant moi. « Faites ce que vous voulez ! Débrouillez-vous ! » L’appel à la violence, à la haine, à la vengeance, à toutes les passions primitives et sauvages, tel était l’enseignement du Führer à ses collaborateurs et le seul viatique qu’il savait leur donner en les renvoyant à leur tâche.
XVI
ENRICHISSEZ-VOUS
Cependant Hitler savait très bien que l’homme normal ne peut pas vivre uniquement de haine et de vengeance. Tout en exploitant avec une froide méthode les plus bas instincts humains, il tenait compte des faiblesses et des convoitises de ses partisans.
« Attendez pour vous marier que je sois au pouvoir », disait Hitler au début du mouvement, à ses collaborateurs qui, considérant leurs postes de Gauleiter, de Reichsleiter ou toute autre position de commande comme des prébendes de tout repos, exprimaient leur désir de mener une vie large et facile. « Occuper les positions », tel fut le mot d’ordre d’Hitler, tout de suite après son arrivée au pouvoir. Accaparer tout ce qui était possible de saisir comme sinécures, telle fut la règle fondamentale qui fut appliquée partout. Du haut en bas de la nouvelle hiérarchie, on écoutait volontiers le docteur Ley, le chef alcoolique du Front du Travail, qui braillait partout de sa voix éraillée le couplet populaire : « Cueillez les roses avant qu’elles ne se fanent. » Et chacun de répéter jovialement : « Jouissez et enrichissez-vous. ».
« Nous ne sommes pas des trouble-fête. » murmurait-on dans l’antichambre d’Hitler. « Se faire soi-même sa position » – ce fut le mot d’ordre des
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