Hitler m'a dit
l’événement n’a pas justifié ces vues du diplomate russe. Le rapprochement entre la Russie des Soviets et l’Allemagne nationale-socialiste s’est produit avant la désaffection des masses allemandes. À la vérité le contact n’avait jamais été complètement rompu-Les chefs du parti avaient eux-mêmes pris soin de le maintenir. En effet, certains d’entre eux, comme Goebbels, avaient reconnu dès les premières années de la lutte pour le pouvoir, une étroite parenté entre le national-socialisme et le bolchevisme ; ils en avaient fait état, en s’en félicitant, dans des déclarations publiques ; il 3 avaient plus tard maintenu leur opinion et l’avaient propagée plus ou moins discrètement. De nombreux Gauleiter ne se gênaient pas pour préconiser une alliance germano-russe ; ils voyaient dans cette alliance, le seul raccourci qui permettrait d’éviter des détours et des hasards périlleux. Hitler, lui, restait sceptique pour diverses raisons. Mais ces raisons n’étaient pas d’ordre idéologique ; c’étaient des considérations d’ordre pratique. Jamais Hitler n’a repoussé le principe d’une alliance avec les Soviets, tout au moins dans le cercle intime de ses camarades du parti.
— « Allez à Moscou, vous avez mon accord, m’avait-il dit lorsque je lui fis part de certains projets qui pouvaient faire avancer les pourparlers polono-dantzikois. Allez à Moscou, mais vous n’y trouverez pas beaucoup de satisfactions. Ces gens-là sont des Juifs ergoteurs, des talmudistes. On n’arrive à rien avec eux. » Je répondis que j’avais déjà examiné les projets en question avec Koch, le Gauleiter de Königsberg. « Oui, Koch est un homme intelligent, mais il me cause des soucis. » Koch était un ami de Gregor Strasser, tombé en disgrâce et farouchement haï par Hitler qui voyait en lui un rival possible.
Je me gardai bien d’aborder le sujet des discordes qui en Prusse orientale déchiraient les cadres du parti et je rendis simplement compte à Hitler de ce que j’avais vu de l’« Institut planiste » de Koch. Un jeune professeur, von Grünberg, avait élaboré une collection fantastique de « paysages d’avenir ». Dans son institut, il avait fait établir des cartes où figuraient des perfectionnements encore imaginaires : centrales d’énergie électrique, transports de force, autostrades, voies ferrées, projets de canaux. Ces « paysages » économiques, minutieusement étudiés jusque dans le détail, s’étendaient sur tout l’Est de l’Europe, jusqu’à la mer Noire et jusqu’au Caucase. Sur ces plans, l’Allemagne et la Russie occidentale représentaient déjà un bloc gigantesque du point de vue de l’économie et des moyens de communication. Évidemment, tout était orienté vers l’Allemagne, c’était l’Allemagne qui établissait les projets et les exécutait. En revanche, on ne trouvait nulle trace de la Pologne ni de la Lituanie. C’était le réseau des communications d’un énorme espace continental, s’étendant de Flessingue jusqu’à Vladivostok. « Si nous ne réalisons pas cela, toute notre révolution aura été faite en pure perte », m’avait répondu Koch quand je lui avais exprimé mon étonnement devant l’immensité de ses projets.
— « Koch devance un peu trop vite la réalité. Il veut me démontrer par là qu’une union entre l’Allemagne et la Russie nous tirerait de toutes nos difficultés. Évidemment, pourquoi ne signerais-je pas un accord avec la Russie, si ma situation peut s’en trouver améliorée ? Je n’ai aucune prévention. Un jour cela pourrait arriver. Et ce serait, en grande partie, la faute de la Pologne. Mais Koch se trompe tout de même. Si nous suivions ses plans, nous n’aboutirions jamais au résultat total qui sera pour nous une nécessité absolue. Ce n’est pas par ce détour que nous parviendrons à former un grand bloc d’États dominant l’univers. Tout partage d’influence aurait précisément pour effet de créer le maximum de méfiance entre les deux bénéficiaires. Et finalement, il sortirait d’un tel pacte la guerre décisive qui ne peut pas être évitée. Il ne faut qu’un maître, et non pas deux. D’où la nécessité de battre la Russie. Après quoi Koch aura tout loisir pour exécuter sur le terrain ses plans et ses épures. Après, mais non pas avant. »
Je répondis que je n’avais pas songé à une alliance durable entre l’Allemagne et la
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