Hitler m'a dit
bien que nous soyons plus grands que ces deux peuples réunis ? Vous ne le croyez pas plus que moi.
» Il faut donc que je procure à l’Allemagne un espace assez vaste pour que nous puissions nous protéger contre toute coalition militaire. En temps de paix, nous pouvons nous arranger des conditions actuelles. Mais il ne s’agit pas de la paix ; il s’agit de la liberté de nos mouvements en temps de guerre. Or, en temps de guerre, nous dépendons de l’extérieur d’une façon qui peut devenir mortelle. Nous ne pouvons vivre que grâce aux échanges internationaux, et n’avons de débouchés sur aucun océan. Voilà qui nous confine éternellement dans rôle d’une nation politiquement dépendante. Nous avons besoin d’un espace qui nous rende indépendants de toute constellation politique, de toute alliance. À l’Est, il nous faut étendre notre domination jusqu’au Caucase ou jusqu’à l’Iran. À l’Ouest, il nous faut la côte française. Il nous faut les Flandres et la Hollande. Et par-dessus tout, il nous faut la Suède. Nous devons devenir une puissance coloniale. Il faut que notre puissance navale soit au moins égale à celle de l’Angleterre car la base matérielle strictement nécessaire à l’indépendance, s’accroît en fonction des exigences de la technique et du progrès des armements. Nous ne pouvons plus nous limiter, comme Bismarck, à des objectifs nationaux. Ou bien nous dominerons l’Europe, ou bien notre nation se désagrégera et nous retomberons dans la poussière de petits États. Comprenez-vous pourquoi je ne peux me limiter ni à l’Est ni à l’Ouest ? »
Je lui demandai si ces projets n’aboutiraient pas en fait à vouloir forcer la nature des choses, s’ils ne signifiaient pas l’emploi de la violence là où la réussite n’était possible que par une politique d’alliances. « Et l’Angleterre, hurla Hitler, qui a constitué son Empire par des rapines et par des vols ? L’a-t-elle conquis par une politique d’alliances ou par la violence ? » Je répondis que nous n’étions plus dans les conditions du XVIII e siècle et que je doutais qu’on pût obtenir un avantage quelconque par les méthodes qui, cent cinquante ans plus tôt, permettaient de ramasser dans des continents encore vierges les pièces et morceaux d’un Empire colonial.
— « Vous vous trompez, Monsieur ! Vous vous trompez grossièrement. Il y a quelque chose qui ne change pas avec les siècles : c’est que les Empires sont fondés par le glaive et par la supériorité des armes, jamais par une politique d’alliances ! » Ce n’était pas la première fois qu’il constatait mon incompréhension de toute grande politique et que je m’égarais dans des rêveries pacifistes. Je devais noter, une fois pour toutes, que les pactes et conventions n’avaient aucune valeur permanente. « L’avenir de l’Allemagne n’est pas dans les alliances, il est dans sa propre force. »
J’objectai qu’après tout sans la politique prussienne du Zollverein, Bismarck n’aurait pas pu fonder le Reich allemand. « Et sans les victoires de 66 et de 70, cette politique d’union douanière n’aurait pas plus abouti que les bavardages des hommes de 48 dans l’église Saint-Paul à Francfort », rétorqua Hitler comme s’il eût abattu un atout maître. Je répondis que, dans ce cas, la structure actuelle de l’Empire britannique pouvait au moins nous servir d’exemple. Nous avions besoin de quelque chose comme l’Acte de Westminster pour les États de l’Europe centrale et orientale, d’une union volontaire de ces États sous la souveraineté de l’Allemagne. C’était là ce qui me semblait le mieux répondre à notre situation et à nos possibilités.
— « Ah ! vraiment, fit Hitler, l’Empire britannique et sa fameuse constitution, voilà ce que vous proposez comme le modèle de ce que le national-socialisme doit forger pour l’avenir de l’Allemagne ? Eh ! bien, non. Cet empire présente tous les symptômes de la décomposition et de l’effondrement inévitable, car on n’y trouve plus nulle part la volonté de puissance. Quand on n’a plus le courage de dominer par la force du poing, quand on est devenu trop humain pour commander, il est temps de se retirer. L’Angleterre regrettera sa mollesse humanitaire. Elle lui coûtera son empire. Il se peut d’ailleurs qu’une vieille puissance, même dépourvue d’un vrai gouvernement, végète encore
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