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Hommage à la Catalogne

Hommage à la Catalogne

Titel: Hommage à la Catalogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: George Orwell
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exploser à tout instant. Mais du moins c’était une petite bombe commode à lancer.
    Un peu avant minuit nous descendîmes tous les quinze, sous la conduite de Benjamin, à la Torre Fabián. Depuis le début de la soirée il pleuvait à verse. Les fossés d’irrigation débordaient, et chaque fois qu’en faisant un faux pas l’on dégringolait dans l’un d’eux, on avait de l’eau jusqu’à la taille. Dans la nuit noire et sous les rafales de pluie, massés dans la cour de la ferme, indistincts, des hommes attendaient. Kopp nous harangua, d’abord en espagnol, puis en anglais, et nous expliqua le plan de l’attaque. La ligne fasciste, en cet endroit, faisait un coude comme un L, et le parapet que nous devions attaquer était situé sur une élévation de terrain à l’angle du L. Une trentaine d’entre nous, la moitié Anglais, la moitié Espagnols, devaient, sous le commandement de Jorge Roca, notre chef de bataillon (un bataillon, dans les milices, comptait à peu près quatre cents hommes), et de Benjamin, aller en rampant couper le barbelé fasciste. Jorge lancerait la première bombe comme signal ; tous, alors, nous en enverrions une volée, refoulerions les fascistes du parapet dont nous nous emparerions avant qu’ils n’aient pu se ressaisir. Simultanément, soixante-dix hommes des troupes de choc donneraient l’assaut à la position fasciste voisine, qui se trouvait à deux cents mètres à droite de la première et reliée à elle par un boyau. Afin que nous ne risquions pas de nous tirer mutuellement dessus dans l’obscurité, nous porterions des brassards blancs. Mais juste à ce moment un planton vint dire qu’il n’y avait pas de brassards blancs. On entendit dans le noir une voix suggérer sur un ton plaintif : « Ne pourrait-on s’arranger pour que ce soient les fascistes qui en portent ? »
    Il restait une ou deux heures à tirer. Dans la grange située au-dessus de l’écurie à mulets, les obus avaient fait de tels dégâts qu’on n’y pouvait aller et venir sans lumière. La moitié du plancher ayant été arrachée par un feu plongeant, on courait le danger d’une chute de vingt pieds sur les pierres d’en bas. L’un de nous trouva un pic et, s’en servant comme d’un levier, dégagea du plancher une latte fendue ; en quelques minutes nous eûmes allumé un feu et nos vêtements trempés se mirent à fumer. Un autre camarade sortit de sa poche un jeu de cartes. Le bruit – un de ces mystérieux bruits que l’atmosphère de la guerre engendre fatalement – courut qu’on allait nous distribuer du café chaud arrosé d’eau-de-vie. Aussitôt, tous de descendre à la queue leu leu, impatiemment, l’escalier à demi effondré, et de faire le tour de la cour sombre en demandant çà et là où il fallait aller pour trouver ce café. Hélas ! on ne nous distribua pas de café. Au lieu de cela, on nous rassembla, nous fit mettre en file indienne, et Jorge et Benjamin foncèrent dans les ténèbres avec nous tous à leur suite.
    Il continuait à pleuvoir et il faisait toujours très noir, mais le vent était tombé. Une boue sans nom. Les sentiers à travers les champs de betteraves n’étaient plus qu’une succession de mottes de terre, aussi glissantes que mât de cocagne, entourées d’immenses flaques. Bien avant d’être arrivés à l’endroit où nous devions quitter notre propre parapet, nous étions tous tombés plusieurs fois et nos fusils étaient tout couverts de boue. Au parapet une petite poignée d’hommes, notre réserve, étaient en attente, ainsi que le médecin et une rangée de civières. Nous nous faufilâmes à travers la brèche du parapet et pataugeâmes dans un autre fossé d’irrigation. Bruits d’éclaboussements et gargouillis. Encore une fois dans l’eau jusqu’à la taille, et de la boue grasse et nauséabonde s’infiltrant dans les bottes. Sur l’herbe, en dehors, Jorge attendait que nous eussions tous passé. Puis, presque plié en deux, il commença d’avancer lentement, en rampant. Le parapet fasciste était à cent cinquante mètres environ. Notre seule chance d’y parvenir, c’était de ne faire aucun bruit.
    J’étais en tête avec Jorge et Benjamin. Pliés en deux, mais la tête levée, nous rampions dans une obscurité presque absolue, en allant de plus en plus lentement. Nous avions le visage doucement battu par la pluie. Quand je regardais en arrière, je distinguais les hommes les plus proches de moi : un

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