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Hommage à la Catalogne

Hommage à la Catalogne

Titel: Hommage à la Catalogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: George Orwell
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hommes en arrière, qui étaient disséminés, avaient à se ranger en une seule file pour passer par la brèche étroite pratiquée dans le barbelé et, juste à ce moment, du parapet fasciste partit un éclair, suivi d’une détonation. La sentinelle avait fini par nous entendre. Jorge se mit en équilibre sur un genou et balança son bras comme un joueur de boules. Sa bombe alla éclater quelque part au-delà du parapet. Instantanément, beaucoup plus rapidement qu’on ne l’eût cru possible, se déclencha, du parapet fasciste, un feu roulant de dix ou vingt fusils. Somme toute, ils nous attendaient. Un bref instant on pouvait voir les sacs de terre dans la lueur blafarde. Nos hommes, restés trop en arrière, lançaient leurs bombes et quelques-unes de celles-ci tombèrent en deçà du parapet. Chaque meurtrière semblait lancer des dards de flamme. C’est une chose qu’on déteste toujours de se trouver sous le feu de l’ennemi dans le noir – on a l’impression d’être personnellement visé par chaque éclair de coup de fusil –, mais le pire, c’étaient encore les bombes. On ne peut en concevoir l’horreur tant qu’on n’en a pas vu une éclater à proximité de soi, et la nuit ; durant le jour il n’y a que le fracas de l’explosion, dans l’obscurité il s’y ajoute l’aveuglante clarté rouge. Je m’étais jeté à terre dès la première décharge ; je restai tout ce temps couché sur le flanc dans la boue gluante, à lutter furieusement avec la goupille d’une bombe ; cette sacrée goupille ne voulait pas sortir. Finalement je me rendis compte que je la tordais dans le mauvais sens. Je la sortis, me redressai sur les genoux, lançai la bombe avec force et me rejetai à terre. La bombe éclata vers la droite, à l’extérieur du parapet ; la peur m’avait fait mal viser. À ce moment précis, une autre bombe éclata en plein devant moi, si près que je sentis la chaleur de l’explosion. Je m’aplatis autant que je pus, enfouissant si violemment mon visage dans la boue que je me fis mal au cou et crus être blessé. À travers le fracas j’entendis derrière moi la voix d’un Anglais dire calmement : « Je suis touché. » De fait, la bombe avait autour de moi blessé plusieurs hommes, m’épargnant. Je me remis à genoux et lançai ma seconde bombe. J’ai oublié où celle-ci éclata.
    Les fascistes tiraient, les nôtres, derrière nous, tiraient, et j’avais parfaitement conscience d’être au milieu. Je sentis le souffle d’une décharge et compris que juste derrière moi un homme faisait feu. Je me dressai sur mes pieds et lui criai : « Ne tire donc pas sur moi, bougre d’idiot ! » À ce moment je vis que Benjamin, qui était à dix ou quinze mètres de moi sur ma droite, me faisait des signes avec le bras. Je courus le rejoindre. Il fallait pour cela traverser la zone sous le feu des meurtrières et je me souviens qu’en la franchissant je me collai la main gauche sur la joue – geste stupide s’il en est ! comme si une balle pouvait être arrêtée par une main ! – mais j’avais en horreur une blessure à la figure. Benjamin se tenait sur un genou et, le visage empreint d’une satisfaction diabolique, tirait avec son pistolet automatique en visant les éclairs. Jorge était tombé blessé à la première décharge et gisait quelque part, invisible. Je m’agenouillai à côté de Benjamin et, après en avoir arraché la goupille, lançai ma troisième bombe. Ah ! pas de doute cette fois-ci ! Ce fut bien à l’intérieur du parapet que la bombe éclata, dans l’angle, juste à côté du nid de la mitrailleuse.
    Le tir des fascistes sembla très brusquement s’être ralenti. Benjamin bondit sur ses pieds et cria : « En avant ! Chargez ! » Nous nous élançâmes sur la pente raide en haut de laquelle se dressait le parapet. Je dis « élançâmes », mais « gravîmes lourdement » serait plus juste ; le fait est qu’on ne peut se mouvoir lestement quand on est trempé, couvert de boue de la tête aux pieds et avec cela alourdi par le poids d’un gros fusil, d’une baïonnette et de cent cinquante cartouches. Je ne mettais pas en doute qu’il y eût, au sommet, m’attendant, un fasciste. De si près, s’il tirait, il ne pourrait pas me manquer. Pourtant, je ne sais pourquoi, pas un instant je ne m’attendis à ce qu’il tirât, mais bien à ce qu’il tâchât de m’avoir à la baïonnette. Il me semblait déjà

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