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Hommage à la Catalogne

Hommage à la Catalogne

Titel: Hommage à la Catalogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: George Orwell
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sentir par avance le choc de nos baïonnettes se croisant, et je me demandais laquelle, de la sienne ou de la mienne, serait la plus résistante. Mais il n’y avait pas de fasciste à m’attendre au sommet. Avec un vague sentiment de soulagement je m’aperçus que le parapet était très bas et que les sacs de terre offraient une bonne assiette pour le pied. En général ils sont difficiles à franchir. À l’intérieur, tout avait été mis en miettes, un peu partout des poutres et de grandes plaques d’uralite gisaient à terre dans un désordre chaotique... Nos bombes avaient démoli les baraquements et les cagnas. Pas une âme visible. Pensant qu’ils devaient se tenir aux aguets, cachés quelque part sous terre, je criai en anglais (à ce moment-là je n’arrivais plus à me souvenir d’un seul mot espagnol) : « Sortez de là ! Rendez-vous ! » Aucune réponse. Mais, un instant plus tard, un homme, silhouette sombre dans le demi-jour, sauta par-dessus le toit d’un baraquement effondré et fila vers la gauche. Je m’élançai à sa poursuite en donnant en pure perte dans le noir des coups de baïonnette. Comme je contournais le coin de ce baraquement je vis un homme – je ne sais si c’était le même que celui que j’avais vu précédemment – s’enfuir par le boyau qui menait à l’autre position fasciste. Je ne devais pas être bien loin de lui, car je le voyais très nettement. Il était nu-tête et paraissait n’avoir sur lui qu’une couverture qu’il tenait serrée autour de ses épaules. Si je m’étais mis à tirer, j’eusse pu le transformer en passoire. Mais de crainte que nous ne canardions les nôtres, ordre nous avait été donné de n’employer, une fois que nous serions à l’intérieur du parapet, que nos baïonnettes ; et, du reste, l’idée de tirer ne m’effleura même pas. Au lieu de cela ma pensée fit un bond de vingt ans en arrière et je revis notre moniteur de boxe au collège me montrant par une vivante pantomime comment il avait, avec sa baïonnette, embroché un Turc aux Dardanelles. Je saisis mon fusil par la poignée de la crosse et je portai une botte au dos de l’homme. Il s’en fallut de peu que je ne l’atteignisse. Une nouvelle botte ; trop courte encore. Et nous fîmes un bout de chemin en continuant, lui de se ruer dans le boyau, et moi de courir sur le remblai après lui, en cherchant d’en haut à lui piquer les omoplates, sans jamais y parvenir tout à fait. Quand j’y repense, c’est pour moi un souvenir comique, mais j’imagine que pour lui il doit être moins comique.
    Naturellement, connaissant le terrain beaucoup mieux que moi, il eut vite fait de m’échapper. De retour à la position, je la trouvai pleine d’hommes et de vacarme. Le bruit de la fusillade avait quelque peu diminué. Les fascistes nous arrosaient toujours sur trois côtés d’un feu nourri, mais il venait de plus loin à présent. Nous les avions momentanément refoulés. Je me souviens d’avoir pris le ton d’un oracle pour dire : « Nous pouvons tenir ici une demi-heure, mais pas plus. » Pourquoi dis-je une demi-heure, je l’ignore. En regardant par-dessus le parapet, à droite, on voyait d’innombrables éclairs verdâtres poignarder les ténèbres ; mais c’étaient des coups de fusil tirés loin de nous, à cent ou deux cents mètres. Nous avions pour tâche à présent de fouiller la position et de faire butin de tout ce qui en valait la peine. Benjamin et quelques autres étaient déjà en train de chercher à quatre pattes dans les décombres d’un grand baraquement ou abri situé au centre de la position. Benjamin avançait en chancelant parmi les ruines du toit, tirant avec effort par sa poignée en corde une caisse de munitions, et plein d’une joyeuse agitation.
    « Camarades ! Des munitions ! Il y en a en abondance, ici !
    — Nous n’avons pas besoin de munitions, dit une voix, c’est de fusils que nous avons besoin. »
    C’était vrai. La moitié de nos fusils, s’étant enrayés à cause de la boue, étaient inutilisables. Ils pouvaient se nettoyer, mais dans l’obscurité il est dangereux d’enlever d’un fusil la culasse mobile : on la pose quelque part à terre et ensuite on ne peut plus la retrouver. J’avais une minuscule lampe électrique de poche que ma femme avait pu acheter à Barcelone, mais c’était tout ce que nous possédions à nous tous en fait de lumière. Quelques hommes qui avaient des fusils en

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