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Hommage à la Catalogne

Hommage à la Catalogne

Titel: Hommage à la Catalogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: George Orwell
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ambulance pour transporter des munitions.
    Et puis, la nuit suivante, l’attente, dans la Torre Fabián, de l’attaque dont le contrordre fut donné au dernier moment par sans-fil. Dans la grange où nous attendions, il y avait, par terre, sous une mince couche de menue paille, une épaisse litière d’ossements – ossements humains et ossements de vaches mêlés – et l’endroit était infesté de rats. Ces immondes bêtes sortaient du sol en foule, il en grouillait partout. S’il y a une chose entre toutes dont j’ai horreur, c’est bien qu’un rat me trotte dessus dans l’obscurité. J’eus en tout cas la satisfaction d’en atteindre un d’un bon coup de poing qui l’envoya en l’air.
    Et puis l’attente, à cinquante ou soixante mètres du parapet fasciste, du signal de l’assaut. Une longue ligne d’hommes tapis dans un fossé d’irrigation, avec les baïonnettes qui émergent et le blanc des yeux qui luit dans le noir. Kopp et Benjamin accroupetonnés derrière nous, à côté d’un homme portant, attaché aux épaules par une courroie, un poste récepteur de T.S.F. À l’horizon, du côté de l’ouest, les éclairs roses des coups de canon suivis à intervalles de quelques secondes d’énormes explosions. Et puis un pip-pip-pip de la T.S.F. et l’ordre transmis en chuchotant de nous tirer de là pendant qu’il en était encore temps – ce que nous fîmes, mais pas assez promptement. Douze pauvres gosses des J.C.I. (l’Union des Jeunesses du P.O.U.M., correspondant aux J.S.U. du P.S.U.C.), qui avaient été postés à environ quarante mètres seulement des fascistes, furent surpris par l’aube et ne purent s’échapper. Tout le jour, sans autre protection que des touffes d’herbe, ils durent rester là, les fascistes leur tirant dessus chaque fois qu’ils bougeaient. À la tombée de la nuit sept d’entre eux étaient morts, les cinq autres parvinrent alors à s’enfuir en rampant dans l’obscurité.
    Puis, durant des jours d’affilée, on entendit chaque matin le bruit des attaques livrées par les anarchistes de l’autre côté de Huesca. Toujours le même bruit, puis, brusquement, à un moment quelconque avant le point du jour, le fracas d’ouverture de plusieurs vingtaines de bombes explosant simultanément – même à des kilomètres de distance, un fracas infernal et qui déchirait l’air –, et ensuite le grondement continu d’un tir massif de fusils et de mitrailleuses, lourd roulement ressemblant curieusement à un roulement de tambours. Peu à peu la fusillade gagnait de proche en proche toutes les lignes de retranchement qui encerclaient Huesca, et sortant en trébuchant de nos abris nous nous ruions dans la tranchée, pour nous affaler contre le parapet où nous demeurions à somnoler, tandis qu’au-dessus de nos têtes tout était balayé par un feu désordonné et sans but.
    Durant le jour les canons tonnaient par à-coups. La Torre Fabián, devenue notre cuisine, fut en partie détruite par les obus. Ce qui est drôle c’est que, lorsque vous observez à distance prudente un tir d’artillerie, vous souhaitez toujours que le canonnier atteigne le but, même si celui-ci renferme votre déjeuner et quelques-uns de vos camarades. Les fascistes pointaient bien ce matin-là ; peut-être y avait-il à l’œuvre des artilleurs allemands. Ils encadrèrent parfaitement la Torre Fabián : un obus au-delà, un en deçà, et puis wuizz-boum ! Les chevrons du comble qui éclatent et sautent en l’air, une plaque d’uralite qui tombe en vol plané comme une carte à jouer qu’on a projetée d’une chiquenaude. Par l’obus suivant, le coin d’un bâtiment fut tranché de façon aussi nette que s’il eût été coupé au couteau par un géant. Mais les cuisiniers n’en servirent pas moins le dîner à l’heure – exploit mémorable !
    Au fur et à mesure que les jours passaient, les canons que nous ne pouvions voir mais que nous entendions commençaient chacun à prendre pour nous une personnalité distincte. Il y avait les deux batteries de canons russes de 75 mm qui tiraient de tout près, en arrière de nous, et qui, je ne sais pourquoi, évoquaient dans mon esprit l’image d’un gros homme en train de frapper une balle de golf. C’étaient les premiers canons russes que je voyais – ou, plutôt, que j’entendais. Leur trajectoire était basse et leur tir très rapide, aussi entendait-on presque simultanément l’explosion de la

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