Hommage à la Catalogne
plein d’exultation. Il venait de prendre part à un combat et disait que Huesca était sur le point d’être prise, enfin. Le gouvernement avait fait venir des troupes du front de Madrid et opérait la concentration de trente mille hommes et d’un très grand nombre d’avions. Les Italiens, que j’avais vus à Tarragone alors qu’ils remontaient au front, avaient livré une attaque sur la route de Jaca, mais avaient eu beaucoup de morts et de blessés et perdu deux tanks. Néanmoins la ville ne pouvait manquer de tomber bientôt, disait Kopp. (Hélas ! elle ne tomba pas. L’offensive fut un effroyable gâchis et n’aboutit à rien, si ce n’est à une orgie de mensonges dans les journaux.) En attendant, Kopp avait à se rendre à Valence pour une entrevue au ministère de la Guerre. Il avait une lettre du général Pozas, qui commandait alors l’armée de l’Est – l’habituelle lettre d’introduction dépeignant Kopp comme une personne « de toute confiance » et le recommandant pour une affectation spéciale dans le Génie (Kopp avait été ingénieur dans la vie civile). Il partit pour Valence le même jour que je partis pour Sietamo, le 15 juin.
Je ne fus de retour à Barcelone que cinq jours plus tard. Notre camion bondé atteignit Sietamo vers minuit, et nous ne fûmes pas plus tôt arrivés au quartier général du P.O.U.M. que, avant même de prendre nos noms, on nous fit nous aligner et on se mit à nous distribuer des fusils et des cartouches. L’attaque semblait être déclenchée et l’on allait probablement appeler des troupes de réserve d’un moment à l’autre. J’avais mon billet d’hôpital dans ma poche, mais je ne pouvais guère refuser de me joindre aux autres. Je me pieutai par terre, avec une cartouchière pour oreiller, et dans un état de consternation profonde. Par suite de ma blessure, j’avais pour le moment les nerfs détraqués – je pense que c’est ce qui arrive d’ordinaire en pareil cas – et la perspective de me trouver de nouveau sous le feu m’effrayait terriblement. Mais comme toujours il y eut un peu de mañana , en fin de compte on ne nous appela pas, et le lendemain matin je montrai mon billet d’hôpital et dès lors m’occupai d’obtenir mon certificat de démobilisation. Ce qui exigea toute une série de voyages embrouillés et fatigants. Comme d’habitude on était renvoyé comme un volant d’hôpital en hôpital – pour moi ce fut Sietamo, Barbastro, Monzón, puis retour à Sietamo pour faire viser mon certificat, puis une fois de plus en route pour s’éloigner du front, en passant par Barbastro et Lérida – et cela alors que la convergence des troupes sur Huesca avait accaparé tous les moyens de transport et avait tout désorganisé. Je me souviens d’avoir dormi dans des endroits imprévus – une fois dans un lit d’hôpital, mais d’autres fois dans un fossé, sur un banc très étroit d’où je tombai au milieu de la nuit, et enfin, à Barbastro, dans une sorte d’asile de nuit municipal. Dès qu’on s’éloignait de la ligne de chemin de fer, il n’y avait pas d’autre moyen de voyager que de sauter dans un camion de rencontre. Il fallait attendre au bord de la route durant des heures, trois ou quatre heures de suite parfois, en compagnie de groupes de paysans maussades, chargés de canards et de lapins, en faisant en vain de grands signes à chaque camion qui passait. Quand finalement on tombait sur un camion qui ne regorgeât pas d’hommes, de miches de pain et de caisses de munitions, on était rossé et mis en bouillie par le cahotement sur ces mauvaises routes. Jamais aucun cheval ne m’avait fait sauter aussi haut que ces camions. Le seul moyen pour tenir jusqu’au bout du voyage, c’était de se serrer les uns contre les autres et de se cramponner les uns aux autres. À ma grande humiliation, je m’aperçus que j’étais encore trop faible pour grimper dans un camion sans être aidé.
Je dormis une nuit à l’hôpital de Monzón, où je venais pour être examiné par le conseil de santé. Dans le lit voisin du mien, il y avait un garde d’assaut blessé au-dessus de l’œil gauche. Il se montra amical et m’offrit des cigarettes. Je dis : « À Barcelone, nous nous serions tirés mutuellement dessus », et cela nous fit rire. C’était curieux comme chez tous l’état d’esprit semblait changer dès qu’on se trouvait à proximité des premières lignes. Toutes ou presque toutes les
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