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Hommage à la Catalogne

Hommage à la Catalogne

Titel: Hommage à la Catalogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: George Orwell
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mauvaises haines entre membres de partis politiques différents disparaissaient comme par enchantement. De tout le temps que j’ai passé au front je ne me rappelle pas qu’aucun membre du P.S.U.C. m’ait une seule fois témoigné de l’hostilité parce que j’étais du P.O.U.M. Ce genre de choses, c’était bon dans Barcelone ou dans d’autres villes encore plus éloignées du théâtre de la guerre. Il y avait un grand nombre de gardes d’assaut dans Sietamo. Ils y avaient été envoyés de Barcelone pour prendre part à l’attaque sur Huesca. Les gardes d’assaut étaient un corps qui, à l’origine, n’était pas destiné à être envoyé sur le front, et beaucoup d’entre eux ne s’étaient encore jamais trouvés auparavant sous le feu de l’ennemi. À Barcelone ils étaient les maîtres de la rue, mais ici ils étaient des quintos (des « bleus ») et devenaient copains avec des enfants de quinze ans des milices qui, eux, étaient sur le front depuis des mois. À l’hôpital de Monzón, le docteur respecta l’habituel programme : il tira sur ma langue, regarda dans ma gorge à l’aide d’un petit miroir, et m’assura sur le même ton joyeux que les autres que je ne retrouverais jamais la voix, puis il me signa mon certificat. Tandis que j’attendais pour être examiné, il y avait en cours, à l’intérieur du dispensaire, une terrible opération sans anesthésique – pourquoi sans anesthésique, je l’ignore. Hurlement de douleur sur hurlement de douleur, cela n’en finissait pas, et lorsqu’à mon tour j’entrai dans la salle, je vis des chaises jetées de côté et d’autre, et sur le parquet des flaques de sang et d’urine.
    Les détails de ce dernier voyage se détachent dans mon souvenir avec une étonnante netteté. J’étais dans une tout autre disposition, beaucoup plus en humeur d’observer, que je n’avais été depuis des mois. J’avais mon certificat de démobilisation sur lequel avait été apposé le sceau de la 29 e division, et un certificat du docteur me déclarant « bon à rien ». J’étais libre de rentrer en Angleterre ; dès lors je me sentais capable, pour la première fois peut-être, de regarder attentivement l’Espagne. J’avais une journée à passer à Barbastro car il n’y avait qu’un train par jour. Je n’avais fait, naguère, que jeter de rapides coups d’œil sur Barbastro, ce n’avait été pour moi qu’un coin de la guerre – un endroit gris, boueux, froid, rempli de camions assourdissants et de troupes miteuses. Il me paraissait étrangement différent à présent. En y flânant à l’aventure, je m’aperçus de l’existence de charmantes rues tortueuses, de vieux ponts de pierre, de débits de vin avec de grands fûts suintants de la hauteur d’un homme, et de mystérieux ateliers à demi souterrains où des hommes fabriquaient des roues de voiture, des poignards, des cuillers de bois et des outres en peau de bouc. Je m’arrêtai à regarder un homme fabriquer une outre et je découvris avec un vif intérêt une chose que j’avais jusqu’alors ignorée, c’est que l’on met le côté poils de la peau à l’intérieur et qu’on laisse le poil, si bien que ce que l’on boit en réalité, c’est de l’infusion de poils de bouc. J’avais bu à des outres des mois durant sans m’en être jamais avisé. Et sur les derrières de la ville, coulait une rivière peu profonde et vert jade ; il s’en élevait perpendiculairement une falaise rocheuse, avec des habitations construites dans le roc, de telle sorte que de la fenêtre de votre chambre à coucher vous pouviez cracher directement dans l’eau à vingt pieds au-dessous. D’innombrables pigeons logeaient dans les anfractuosités de la falaise. Et à Lérida, sur les corniches de vieilles maisons tombant en ruine, des milliers et des milliers d’hirondelles avaient bâti leurs nids ; à quelque distance, le dessin de cette croûte de nids offrait l’aspect d’un moulage orné à l’excès de l’époque rococo. C’est curieux à quel point durant presque les six derniers mois je n’avais pas eu d’yeux pour de telles choses ! Depuis que j’avais mes papiers de démobilisation dans la poche, je me sentais redevenu un être humain, et un peu un touriste aussi. Pour la première fois à peu près j’avais le sentiment d’être réellement en Espagne, dans le pays que j’avais toute ma vie souhaité visiter. Dans les calmes petites rues écartées de

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