Hommage à la Catalogne
hôtel ou dans une pension de famille, parce qu’il avait été ordonné par décret à tout tenancier d’hôtel d’informer immédiatement la police de l’arrivée de tout nouveau client. Autrement dit, il fallait passer la nuit dehors. Dans la journée, en revanche, dans une ville de l’importance de Barcelone, on était relativement en sécurité. Les rues fourmillaient de gardes civils, de gardes d’assaut, de carabiniers et de policiers ordinaires, sans parler de Dieu sait combien d’espions en civil ; mais ils ne pouvaient arrêter tous les passants, et si vous présentiez une apparence normale, vous pouviez espérer passer inaperçu. Mais il fallait éviter de rôder aux environs des locaux du P.O.U.M. et d’aller dans les cafés ou les restaurants dont les garçons vous connaissaient de vue. Je passai beaucoup de temps, ce jour-là et le suivant, à prendre un bain dans l’un des établissements de bains. L’idée m’était venue que c’était là un excellent moyen de passer le temps tout en me tenant hors de vue. Malheureusement quantité de gens eurent la même idée et quelques jours plus tard – j’avais alors déjà quitté Barcelone – la police fit une descente dans l’un de ces bains publics et arrêta un grand nombre de « trotskystes » dans l’habit du père Adam.
À mi-chemin, en remontant les Ramblas, je me trouvai nez à nez avec l’un des blessés du sanatorium Maurín. Nous échangeâmes l’espèce de clin d’œil imperceptible que les gens échangeaient à cette époque et, sans avoir l’air de rien, nous nous arrangeâmes pour nous retrouver un peu plus loin dans un café. Il avait échappé à l’arrestation lors de la descente de police dans le Maurín, mais il était maintenant, comme les autres, à la rue. Et en bras de chemise – il avait dû fuir sans sa veste – et sans argent. Il me raconta qu’un garde civil avait arraché du mur le grand portrait peint de Maurín et l’avait détruit à coups de pied. Maurín (l’un des fondateurs du P.O.U.M.) était prisonnier des fascistes et à cette époque-là on croyait qu’il avait été fusillé par eux.
Je rencontrai ma femme au consulat britannique à dix heures. McNair et Cottman arrivèrent peu après. La première chose qu’ils m’apprirent, ce fut que Bob Smillie était mort. Il était mort en prison à Valence – de quoi, personne ne le savait exactement. Il avait été immédiatement enterré et le délégué local de l’I.L.P. n’avait pas obtenu l’autorisation de voir son corps.
Naturellement je supposai aussitôt qu’il avait été fusillé. C’est ce que tout le monde crut à l’époque, mais j’ai depuis pensé que j’étais peut-être dans l’erreur. Un peu plus tard, on donna officiellement pour cause de sa mort une crise d’appendicite et nous apprîmes par la suite, de la bouche d’un autre prisonnier qui avait été relâché, qu’il était bien vrai que Smillie avait été malade en prison. Peut-être donc que l’histoire de l’appendicite était réelle. Le refus opposé à Murray de lui laisser voir sa dépouille pouvait être dû à une pure malveillance. Mais j’ai tout de même ceci à dire : Bob Smillie n’avait que vingt-deux ans, et il était physiquement l’un des hommes les plus vigoureux que j’aie jamais vus. De tous les Anglais et Espagnols que j’ai connus, il avait été le seul, je crois, à passer trois mois dans les tranchées sans un jour de maladie. Quand ils sont aussi bien portants que cela, les gens, en général, ne meurent pas de l’appendicite, s’ils sont convenablement soignés. Mais quand on a vu ce qu’étaient les prisons espagnoles – les prisons de fortune que l’on utilisait pour les prisonniers politiques – on se rend compte des chances qu’avait un malade d’y recevoir des soins appropriés à son état. Ces prisons, on ne peut plus justement les comparer qu’aux cachots des châteaux du Moyen Âge. En Angleterre, il faudrait remonter au XVIII e siècle pour retrouver rien de comparable. Les gens étaient parqués dans de petites pièces où ils n’avaient qu’à peine la place de s’étendre, et souvent on les enfermait dans des caves ou dans d’autres lieux obscurs. Et il ne s’agissait pas là d’une mesure provisoire – on peut citer des cas de détenus qui, durant quatre ou cinq mois, ne virent à peu près pas la lumière du jour. Et la nourriture était infecte et insuffisante : deux assiettes de
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