Hommage à la Catalogne
prison. Je ne cessais de répéter : « Mais pour quelle raison trouverait-on nécessaire de m’arrêter ? Qu’avais-je fait ? » Je n’étais même pas membre du P.O.U.M. Oui, j’avais porté les armes durant les troubles de mai, mais comme l’avaient fait, disons, quarante ou cinquante mille autres. En outre, j’avais rudement besoin d’une bonne nuit de sommeil. J’avais envie de courir le risque et de retourner à l’hôtel. Mais ma femme ne voulut pas en entendre parler. Patiemment elle m’expliqua la situation. Peu importait ce que j’avais ou n’avais pas fait. Il ne s’agissait pas d’une rafle de criminels ; il s’agissait d’un régime de terreur. Je n’étais coupable d’aucun acte précis, mais j’étais coupable de « trotskysme ». Le fait d’avoir servi dans les milices du P.O.U.M. était à lui seul amplement suffisant à me mener en prison. Il était vain, ici, de se cramponner à la notion anglaise qu’on est en sécurité aussi longtemps qu’on respecte la loi. Dans la pratique la loi était ce qui plaisait à la police qu’elle fût. La seule chose à faire était de me terrer et de ne pas laisser savoir que j’avais eu quelque rapport que ce fût avec le P.O.U.M. Nous fîmes la revue des papiers que contenaient mes poches. Ma femme me fit déchirer ma carte de milicien, qui portait « P.O.U.M. » écrit en gros caractères, ainsi que la photo d’un groupe de miliciens avec un drapeau du P.O.U.M. à l’arrière-plan ; c’étaient des choses de ce genre qui vous faisaient arrêter à présent. Il fallait cependant que je garde mes papiers de démobilisation. Même eux étaient un danger, car ils portaient le sceau de la 29 e division et les policiers sauraient probablement que la 29 e division, c’était le P.O.U.M. ; mais sans eux je risquais d’être arrêté comme déserteur.
Ce à quoi il nous fallait penser, c’était à sortir d’Espagne. Cela n’avait pas le sens commun de rester ici avec la certitude d’être tôt ou tard emprisonné. À vrai dire, tous deux, nous eussions bien aimé rester, simplement pour voir ce qui allait arriver. Mais je songeai que les prisons espagnoles devaient être de vraies pouilleries (en fait, elles étaient encore pires que je ne les imaginais) et qu’une fois en prison on ne savait jamais quand on en sortirait, et que j’étais en mauvaise santé, sans parler de ma douleur au bras. Il fut convenu que nous nous rencontrerions le lendemain au consulat britannique, où devaient aussi aller Cottman et McNair. Cela nous prendrait probablement deux jours pour faire mettre en règle nos passeports. Avant de quitter l’Espagne, on avait à les faire timbrer en trois endroits différents : par le chef de la police, par le consul français et par les autorités catalanes du service de l’immigration. Le dangereux, c’était le chef de la police, naturellement. Mais peut-être le consul britannique pourrait-il s’arranger de manière à n’avoir pas à révéler mes rapports avec le P.O.U.M. Évidemment il devait bien exister une liste des étrangers suspects de « trotskysme », et très probablement nos noms s’y trouvaient-ils, mais avec de la chance nous parviendrions peut-être à la frontière avant la liste. Car on pouvait compter sur pas mal de désordre et de mañana. Heureusement c’était l’Espagne, et non l’Allemagne. La police secrète espagnole participait de l’esprit de la Gestapo, mais ne possédait guère sa compétence.
Nous nous séparâmes donc. Ma femme retourna à l’hôtel et moi je me mis à errer dans l’obscurité, en quête d’un endroit où pouvoir dormir. J’étais, il m’en souvient, de fort mauvaise humeur et excédé. J’avais tellement désiré une nuit dans un lit ! Je n’avais nulle part où aller, ne connaissais aucune maison où pouvoir chercher refuge. Le P.O.U.M. n’avait pratiquement pas d’organisation clandestine. Ses leaders s’étaient sûrement toujours rendus compte que, très probablement, le parti serait supprimé ; mais jamais ils ne s’étaient attendus à une chasse à la sorcière de cette sorte et aussi étendue. Ils s’y étaient, en vérité, si peu attendus que jusqu’au jour même de la suppression du P.O.U.M. ils avaient poursuivi les travaux d’aménagement des locaux du P.O.U.M. (entre autres choses, ils faisaient construire un cinéma dans l’immeuble du comité exécutif, qui avait été auparavant une banque). Aussi le P.O.U.M.
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