Iacobus
chose,
poursuivit-elle, car j’aimerais en finir avec cette conversation et je désire
que vous partiez au plus vite. Il n’y avait pas un assassin comme vous le
pensez mais deux, deux chevaliers dignes et honorables qui jouissent de ma
confiance et de mon estime. Il y a fort longtemps, ils ont sauvé ma famille du
bûcher, dit-elle d’une voix devenue grave. Mon père était le prêteur le plus
important du quartier juif et s’était fait de nombreux ennemis parmi les
Gentils qui désiraient le voir brûler dans les feux de l’Inquisition. Il fut
accusé à tort d’avoir profané une hostie consacrée. Quelle bêtise ! Nous
dûmes abandonner notre maison et nous enfuir. Les deux chevaliers dont je vous
ai parlé nous aidèrent. Ils nous offrirent un refuge et nous cachèrent jusqu’à
ce que le danger soit passé. J’ai depuis une dette immense envers eux, si
grande que je n’ai pas pu refuser de les aider quand ils sont venus me le
demander. Il est vrai qu’ils m’ont offert aussi une somme considérable, bien
plus grande encore que vous ne l’imaginez, mais aurais-je dû pour cela
abandonner mon art ? Chacun exerce un métier dans cette vie, je suis
magicienne, heureuse de l’être, et je le resterais même si l’on m’offrait le
triple de ce que j’ai reçu.
— J’en déduis que vos amis étaient des
Templiers et qu’avec votre famille vous vous êtes réfugiée dans la forteresse
du Marais pour fuir la justice royale et l’Inquisition.
— C’est exact ! s’exclama-t-elle,
surprise. Vous avez gagné ces deux écus !
— Assez joué ! madame, m’écriai-je
soudain en donnant un coup de poing sur la table. Vous voyez cette
bourse ? Elle contient cent écus et cent florins. Prenez-la, elle est à
vous, mais cessez de tourner autour du pot et de vous moquer de moi ! Je
veux les noms de vos amis et je les veux maintenant ! Sachez qu’ils ne
courent aucun danger, que je ne les dénoncerai pas. Je ne fais que rechercher
la vérité. Je veux juste savoir si Guillaume de Nogaret a été tué par les
Templiers ou pas.
Sara éclata de rire.
— Mais je viens de vous le dire !
Votre colère vous rend-elle sourd ? Je vous ai dit qu’en effet mes amis
avaient préparé le poison et que c’étaient des Templiers.
Cette maudite femme me tapait sur les nerfs.
Avant que Jonas ne s’approche de moi et ne me murmure à l’oreille un
stupide : « C’est vrai, elle vous l’a déjà dit », je dus
reconnaître qu’elle était diablement ingénieuse et encore plus douée que moi
dans l’art de vous embrouiller.
— J’ignore pour quelle raison vous voulez
cette information, mais je peux vous donner leurs noms sans danger pour eux
puisque l’un d’eux a quitté la France et ne reviendra jamais...
Il me sembla noter alors dans sa voix quelque
chose qui ressemblait à de l’amertume.
— Et l’autre est prisonnier dans les
cachots du roi. Quelle ironie du sort, n’est-ce pas ? Mon ami emprisonné
dans la forteresse qui fut autrefois son domicile.
— De quoi l’accuse-t-on ?
— C’est grotesque ! Il est accusé
d’avoir assassiné le roi Philippe le Bel, et bien que cela soit vrai, personne,
pas même son accusateur, Philippe le Long, ne le croit coupable de ce délit.
— Je ne comprends pas.
Elle me regarda d’un air de commisération.
— À la mort de Philippe IV, la rumeur
accusa aussitôt les Templiers, mais on ne put trouver aucune preuve contre eux.
Je suppose que vous connaissez les faits ?
J’acquiesçai d’un signe de tête.
— Son fils aîné, Louis X, roi de Navarre,
monta alors sur le trône, pour mourir soudain deux ans après son couronnement,
laissant sa veuve Marguerite enceinte. Elle donna naissance à un fils à la
grande satisfaction de tous, excepté celle de Mahaut d’Artois, évidemment. On
l’appela Jean, le roi Jean I er , mais le pauvre mourut peu de temps
après sa naissance. Arrive enfin le tour de Philippe de Poitiers, notre roi,
marié avec Jeanne de Bourgogne, fille de Mahaut d’Artois. Vous comprenez
maintenant ?
— Je dois avouer que je ne vois pas où vous
voulez en venir.
— Philippe le Long est convaincu, non sans
raisons, que sa belle-mère, Mahaut, est responsable de toutes les morts dont je
viens de parler : celle de son père, de son frère aîné, de son neveu. La
Cour et tout le royaume pensent de même. Le grand rêve de Mahaut d’Artois a
toujours été que l’une de ses filles devienne reine
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