Iacobus
étaient restés.
Alors que nous laissions la synagogue en ruine à
notre droite et entrions dans ce qui paraissait être le coeur du quartier, un
vieillard sortit d’une habitation en ruine. Il s’arrêta et nous regarda d’un
air terrorisé.
— Béni soit le Seigneur à jamais.
Amen ! lui dis-je en hébreu, utilisant le dernier vers du psaume 89 qui
est une sorte de salut rituel.
Le vieil homme accueillit avec gratitude cette
formule de reconnaissance.
— Béni soit-Il à jamais. Amen, me
répondit-il avec un sourire aimable. Que venez-vous chercher ici à une heure
pareille ?
— Nous cherchons la maison de Sara.
Savez-vous où elle se trouve ?
— Vous y êtes presque. Vous voyez cette
porte, avec un petit auvent. C’est là qu’elle vit. Elle a dû oublier de
l’enlever.
— Que la paix soit avec toi, lui dis-je en
guise d’adieu.
— C’était de l’hébreu, cette langue que
vous parliez avec le Juif ? me demanda Jonas dès que l’homme se fut
éloigné.
— En effet.
— Comment se fait-il que vous connaissiez
cette langue ?
— Jonas, Jonas ! Tu veux toujours tout
savoir si vite. Regarde, voici la rue des Orfèvres. On la reconnaît à ces
dessins sur les murs. Frappons à la porte.
Je dus m’y reprendre à plusieurs reprises avant
que quelqu’un ne daigne nous ouvrir. Une femme d’un âge indéfinissable, on ne
voyait pas bien dans l’obscurité, couverte d’une tunique noire et d’un tablier
de cuir, passa la tête par l’entrebâillement.
— Que voulez-vous ? demanda-t-elle
avec rudesse.
— Nous voulons parler avec Sara.
— Pour quoi faire ?
— Nous avons besoin de son aide.
— Qui vous envoie ?
— Un client très satisfait de sa dernière
commande.
La femme nous regarda avec curiosité pendant
quelques instants qui me parurent durer une éternité, avant de se décider à
ouvrir et nous laisser passer.
— Entrez, mais ne touchez à rien.
Son étrange et abondante chevelure blanche
m’avait trompé sur son âge comme je le réalisai rapidement : Sara n’était
pas une vieille sorcière, mais une jeune femme d’une trentaine d’années. Elle
marchait pieds nus sur le sol froid, et quand elle se tourna pour nous laisser
passer, je vis à la lumière des bougies que sa peau était blanche comme le lait
et constellée de taches de rousseur. Elle en avait partout, même sur les pieds.
Je n’avais jamais vu de femme à la beauté plus étrange…
La salle dans laquelle elle nous fit entrer
m’offrit un spectacle bouleversant. Cette mystérieuse Sara, cherchant sans
doute à obtenir l’apparence d’un lieu dans lequel on pratique la magie, l’avait
décorée d’un bric-à-brac absurde. Mais mis à part la marmite dans laquelle
bouillonnait un breuvage mousseux, je ne vis aucun signe de véritable
sorcellerie. Elle avait disposé contre un mur un autel où brûlaient plusieurs
cierges et une longue table où trônaient des dizaines de récipients, verres,
cruches, tasses, vases et calices de mille couleurs et formes contenant des
substances liquides, solides, granulées, mortes et même vivantes, de diverses
origines : mercure, racines, soufre, vers de terre, graines, fleurs,
pierres, sable, becs et pattes de faucon, herbes... Sur un autre mur était
dessiné un cercle magique avec une figure hexagonale bleue en son centre ;
six étoiles dorées brillaient à ses pointes. Il manquait donc un jour de la
semaine. À l’extérieur du cercle, suivant idéalement les rayons de l’hexagone,
Sara avait dessiné les symboles de la Lune (lundi), de Mars (mardi), de Mercure
(mercredi), de Jupiter (jeudi), de Vénus (vendredi) et de Saturne (samedi).
Enfin, j’abrégerai en mentionnant qu’il y avait
un chandelier à sept branches près d’un tube d’alchimiste, une peau de serpent
près d’un poisson-loup flottant dans un flacon, et un chaudron pour
transmutations magiques sous une croix en forme de U. Un choucas vivant perché
sur une branche d’olivier et une tête de mort complétaient ce spectacle.
Jonas contemplait d’un air ébahi et légèrement
effrayé tous ce fatras incompréhensible. Il s’était d’ailleurs involontairement
rapproché de moi. Sara s’assit sur une chaise derrière une petite table couverte
d’un napperon parsemé de points dorés et nous invita d’un geste de la main à
prendre place en face d’elle sur deux tabourets.
— Je vous écoute. Que désirez-vous ?
demanda-t-elle.
— Je vais
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