Il était une fois le Titanic
Mais elle ne rencontra personne dans les coursives ni dans les salons. « Où étaient les gens ? » Surprise, elle dut admettre qu’il n’y avait personne pour donner à l’événement le relief habituel de la tragédie : pas d’attroupement, pas le moindre cri de panique ne lui parvenait d’un quelconque
endroit du navire. Elle avait le sentiment de vivre un rêve éveillé. Enfin, elle croisa tout de même un steward qui lui recommanda de regagner sa cabine.
— Les autres pourraient vous voir et s’inquiéter, ne put-il se retenir de déclarer.
La jeune femme, que cette recommandation n’avait pas rassurée, décida de s’habiller pour aller marcher sur le pont. C’est alors que deux de ses amis vinrent frapper à sa porte pour lui demander comment elle avait « supporté l’impact ». Quelque chose s’était donc passé, que d’autres passagers avaient également ressenti.
Si l’on plaisantait encore sur le pont-promenade, où des passagers de première et de deuxième classe se distribuaient des morceaux de glace « en souvenir », les immigrants dont les logements se trouvaient à l’avant du navire n’avaient plus de doute sur ce qui s’était produit. Allumant la lumière après le choc qu’il avait ressenti dans son sommeil, un certain Carl Johnson constata que de l’eau jaillissait sous la porte. Il déclarera s’être rapidement retrouvé les pieds dans l’eau jusqu’aux chevilles.
Cinq minutes après minuit, le lundi 15 avril, le rapport définitif d’avaries était sans appel : la brèche, telle une plaie béante, vomissait les eaux glacées de l’océan dans le grand corps blessé du Titanic . Elle représentait au total un peu plus d’un mètre carré d’ouverture à la mer. Et comme l’eau pénétrait également dans la chaufferie numéro 4, sans qu’elle eût encore débordé du compartiment voisin, cela signifiait qu’une seconde brèche avait été ouverte. L’agonie commençait. Elle était désormais irréversible.
La vapeur des chaudières, libérée dès que les machines avaient été stoppées, s’échappait sans discontinuer par les trois cheminées dont les sifflements devenaient une plainte lancinante. Le vacarme était tel que Lawrence Beesley parlera d’un bruit comparable à celui de vingt locomotives actionnant en même temps leurs sifflets.
Il y avait moins d’une demi-heure que la collision s’était produite, et déjà l’eau montait à dix mètres au-dessus de
la quille. Elle avait atteint le court de squash et menaçait maintenant la salle à manger des troisième classe.
Le commandant Smith n’avait plus d’autre choix que d’accepter cette inconcevable réalité : le plus grand navire de tous les temps était en passe de sombrer dans les profondeurs abyssales de l’Atlantique Nord. Devant l’adversité, il fallait agir sans tarder. Prendre les bonnes décisions et donner ses ordres avec toute la rigueur que la situation réclamait à son autorité. La prédestination n’offre pas d’alternative. Le temps était compté.
Smith confia donc au second capitaine Wilde le soin de faire immédiatement décapeler 163 tous les canots de sauvetage car il savait que la manœuvre consistant à les déhaler 164 le long de la coque serait longue et périlleuse. Tout à la fois, il se rendit compte qu’il ne pourrait y faire monter tout le monde. Pour la première fois, la cruelle réalité si souvent prédite, toujours niée, le saisit d’une angoisse qui le tétanisa.
Craignant toutefois que son navire ne restât pas à flot suffisamment longtemps pour qu’un transbordement total puisse avoir lieu, il chargea ses officiers d’affecter au mieux les passagers aux chaloupes et radeaux disponibles. Encore fallait-il qu’un navire providentiel pût rapidement leur porter secours.
Pour cela, les télégraphistes allaient devoir lancer au plus vite un appel de détresse. En se fondant sur le dernier point astronomique calculé par le deuxième officier Charles Lightoller, le lieutenant Boxhall calcula la position du navire sur un morceau de papier qu’il tendit au commandant. Rapidement, il avait griffonné : 41° 44’ nord, 50° 24’ ouest. Lors de la découverte de l’épave en 1985, on apprendra que le Titanic gisait en réalité par 41° 46’ de latitude nord et 50° 14’ de longitude ouest, soit à plus de 13 milles au sud-sud-est de l’endroit déterminé par Boxhall ce soir-là ! Ce qui l’éloignait
un peu plus des
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