Il était une fois le Titanic
respectait les ordres lancés par les officiers. L’ensemble des passagers maîtrisaient leur angoisse et leur impatience, mais on sentait que cette discipline était une fausse abnégation et qu’elle pouvait à tout instant basculer dans le désordre et le chaos. C’est probablement la raison qui incita le second capitaine à demander aux officiers d’aller chercher leurs armes à feu dans le coffre où elles étaient enfermées.
Le pont du Titanic s’inclinant dangereusement, il était urgent d’accélérer l’évacuation. À l’intérieur de la coque, l’eau se déversait par-dessus les cloisons étanches, tandis que dans les machines, avec la force du désespoir, les derniers mécaniciens luttaient pour maintenir dans les chaudières le minimum de pression nécessaire au fonctionnement de la lumière, de la TSF et des pompes que l’on avait activées avec l’illusion qu’elles repousseraient l’échéance fatale.
Sur les ponts, « l’affolement grandit avec la douleur de la séparation », note Maja Destrem 190 . « Mlle Evans me confia sa certitude de périr noyée », peut-on lire également sous la plume du colonel Gracie 191 . Et ses efforts pour la persuader du contraire furent inutiles.
La tension montait, de plus en plus perceptible. Et la bousculade tant redoutée finit par se produire. C’était le signe d’une fin prochaine. Passant d’un bord sur l’autre, les gens couraient en tous sens, dans le désordre d’un branle-bas sauvage et désespéré. La confusion régnait un peu
partout, les gens qui se trouvaient encore à bord prenant maintenant conscience qu’il n’y avait plus d’issue possible et que le piège s’était refermé.
Moins machiavéliques qu’on a voulu le dire, les opérations d’évacuation se heurtèrent à la désorganisation générale de la chaîne de commandement. Tout le monde en fut victime, les plus riches comme les plus humbles des passagers : les noms des disparus démentent la thèse d’une quelconque discrimination par la fortune. S’il y eut plus de victimes parmi la clientèle de l’entrepont, c’est que la répartition des classes à bord du paquebot facilitait l’accès des première et deuxième classe au pont des embarcations. De plus, les émigrants n’avaient pas l’habitude de voyager à bord de ces grands liners dont l’architecture compliquée les déroutait. La nuit du drame, perdus dans les coursives entre l’arrière et l’avant du bâtiment que séparaient plus de deux cents mètres de ponts, ils eurent beaucoup de difficulté à trouver leur chemin vers la sortie – itinéraire qu’ils n’avaient du reste jamais exploré auparavant. Enfin, la plupart ne parlaient pas la langue de l’équipage et les ordres d’abandon, qu’ils ne comprenaient pas, augmentaient leur état de panique et les désorientaient un peu plus. Tout concourait à les disqualifier dans cette course contre la mort.
Néanmoins, la White Star Line avait le devoir de prendre en compte toutes les vies dont elle avait la responsabilité durant le voyage, toutes catégories de personnes confondues. De même qu’elle s’était attachée à leur rendre la traversée confortable, elle avait l’obligation de respecter leurs droits en matière de sécurité. Si ce n’est au nom de la plus élémentaire humanité, au moins se devait-elle d’honorer le fait que le Titanic , selon la publicité faite autour de son nom, était le meilleur et le plus sûr moyen de traverser l’Atlantique. Car on avait voulu faire de ce paquebot un symbole de réconciliation entre les classes sociales, une sorte d’Arche moderne, comme un pont jeté entre deux mondes.
Chacun pour soi
À 0h45, les premières chaloupes furent mises à la mer. Puis, toutes les cinq minutes environ, une nouvelle embarcation se détacha du paquebot. Sans avoir fait le plein de naufragés. Si dans l’une des chaloupes contrôlées par Murdoch on compta sept hommes parmi les occupants, la première à descendre sous la surveillance de Lightoller en emportait quatre – dont deux matelots – parmi les femmes et les enfants qui s’y étaient installés. En dépit de toute sa vigilance, on verra s’insinuer dans chacune d’elles, clandestinement ou par la force, un certain nombre de passagers que le règlement avait arbitrairement condamnés à passer leur tour.
Cet opportunisme, théoriquement réprouvé, répond d’un comportement naturel de l’être humain, plus largement
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