Il était une fois le Titanic
Minnesota, le Red Wing Daily Republican annonçait de son côté que les femmes et les enfants avaient été sauvés de la catastrophe, mais que mille quatre cent quatre-vingt-douze autres passagers et membres d’équipage avaient péri, parmi lesquels se trouvait le conseiller militaire du président américain. Et le journal de résumer la pensée dominante de l’opinion par ces mots lourds de sens : « C’est une catastrophe épouvantable qui va conduire à d’intenses souffrances 246 . »
L’émotion était partout palpable, en dépit de l’imprécision de la plupart des articles. À Londres et Manchester, le Daily News ne donnait pas les mêmes chiffres concernant les rescapés, mais il était à l’unisson de ses confrères d’outre-Atlantique pour attester de l’onde de choc qui était en train de parcourir la planète. À Paris, où des centaines de passagers avaient pris le train pour Cherbourg, la controverse enflait à propos de la sécurité, comme partout ailleurs. La Presse parlait de deux mille morts et notait l’affolement des gens qui tentaient de prendre des nouvelles auprès de la représentation de la White Star Line, rue Auber. « Au-dehors, pouvait-on lire dans son édition du mercredi, alors que le Carpathia n’a pas encore atteint New York, la foule des badauds parisiens contemple avec compassion le lamentable défilé des Américains qu’un deuil par trop cruel vient de frapper. »
Au même moment, dans la cabine qu’il refusait de quitter, Joseph Ismay s’entretenait avec le commandant Rostron à propos de l’équipage du Titanic , qu’il voulait faire
débarquer à l’insu de la presse. Il redoutait les questions indiscrètes et, dans la foulée, l’ouverture d’une commission d’enquête. Il demanda à entrer en communication avec Philip Franklin au moyen de messages codés, en vue d’organiser au plus vite son rapatriement et celui de ses hommes. Franklin s’y refusa, arguant du fait qu’une telle manœuvre susciterait le mécontentement de l’opinion et l’exacerbation de la critique. Ayant lu les premiers commentaires des journaux, il ne voulait pas jeter de l’huile sur le feu en soustrayant clandestinement le personnel du Titanic à la curiosité générale. Ismay revint à la charge en demandant un embarquement sur le Cedric , sachant qu’il devait appareiller le 18 avril pour l’Angleterre. Par trois fois, Philip Franklin déclina sa requête, pour accepter finalement de réquisitionner le Lapland , qu’il laisserait à sa discrétion.
Franklin savait que les autorités ne laisseraient personne quitter le territoire des États-Unis sans qu’une commission sénatoriale eût mené son enquête sur les responsabilités de la compagnie. Trop de citoyens américains avaient perdu la vie dans l’accident pour qu’on s’abstînt de lui demander des comptes. Cette procédure permettrait en outre aux familles des victimes, ainsi qu’aux rescapés lésés par la perte de leurs biens, de réclamer de substantiels dommages et intérêts auprès des assurances.
Durant le reste de la traversée, les rescapés du Carpathia furent mis à rude épreuve. En plus du traumatisme qu’ils venaient de subir, des conditions de mer très difficiles vinrent ajouter à leur souffrance morale, un affreux temps d’hiver qui ne se calma pas jusqu’à New York. Lawrence Beesley rapporte qu’un vent glacial leur interdisait de sortir sur le pont. Dès le mardi matin, l’océan se creusa tellement qu’il indisposa la plupart. « Le brouillard se levait chaque matin et durait une bonne partie de la journée 247 . » Enfin, la pluie se mit à tomber si dru que l’on confondit bientôt la mer et le ciel.
Pendant ce temps, Beesley colligeait ses premières impressions de naufragé miraculé, qu’il destinait à la presse, pour se plaindre des négligences de l’équipage et des crimes dont il accusait ouvertement les ingénieurs et l’armateur du Titanic . C’est à la suite de ce coup de colère, encore empreint d’une indignation passionnée, qu’il rédigera quelques mois plus tard The Loss of the SS Titanic : its Story and its Lessons .
Parmi les rescapés, un même vent de fronde commençait à se lever contre la White Star Line. Lorsqu’on annonça que le Carpathia serait à quai le jeudi soir, certains se préparèrent à affronter la presse. Si tous ne s’engagèrent pas à protester publiquement, aucun ne prit le parti de se taire si d’aventure
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