Il était une fois le Titanic
informations à donner à la presse. Ils entendaient : officiellement. Car pour ce qui était des commentaires qui jailliraient de la plume des journalistes, ils ne pouvaient plus rien. « L’affaire », déjà, leur appartenait.
Sur ces entrefaites, le sénateur du Michigan William Alden Smith se présenta à la coupée. Muni d’une convocation
pour l’interroger, il demanda à rencontrer le patron de la White Star Line. Joseph Ismay craignait qu’on l’inculpât sur le territoire américain. Franklin s’en aperçut et tenta de le rassurer en lui certifiant qu’il ne s’agissait probablement que d’une enquête administrative de routine.
Dès qu’il eut pris connaissance du naufrage du Titanic , William Smith avait en effet demandé l’ouverture d’une sous-commission sénatoriale en vue d’éclaircir les raisons du drame. Réputé autoritaire, il avait presque cinquante-trois ans et une longue carrière le rendait politiquement influent. Or s’il avait l’intention de pointer publiquement du doigt les manquements éventuels à la sécurité que l’on commençait à soulever dans toutes les conversations, ce farouche républicain souhaitait plus sournoisement jeter l’opprobre sur quelques boucs émissaires et, par conséquent, mettre ouvertement en accusation la White Star et le pavillon britannique. Les débats qui animeront l’enquête en seront tellement marqués que les assesseurs mêmes du sénateur lui feront remarquer son impartialité. Par ailleurs, aucune plainte n’ayant été déposée devant les tribunaux, la justice n’entrera pas en matière et la sous-commission ne distribuera que des blâmes et ne publiera que des recommandations.
William Alden Smith ne resta pas longtemps à bord du Carpathia . Il se contenta de remettre au directeur de la White Star une citation à comparaître avec son équipage dès le lendemain 19 avril à 10 h 30. Une salle d’audience improvisée avait été réservée à l’hôtel Waldorf Astoria. Joseph Ismay avait tenté de lui expliquer que ses hommes ne pouvaient pas demeurer sans travail aux États-Unis et qu’il se trouvait dans l’obligation morale de les rapatrier au plus vite. Il ne mentait pas sur ce point car, lorsqu’un navire faisait naufrage, les contrats liant les compagnies à leurs équipages devenaient aussitôt caducs. Les hommes n’étaient donc plus payés. Pour éviter « qu’ils ne vagabondent et ne s’attirent les pires ennuis 254 », ils étaient rapidement exfiltrés
en attendant un nouvel embarquement. Mais le sénateur Smith était inflexible et les arguments de l’armateur, qui prétendait vouloir éviter que ses hommes ne troublent l’ordre public s’ils étaient abandonnés aux tentations du retour à terre, le laissèrent de marbre.
Sans attendre les révélations sous serment de la sous-commission Smith, de nombreux journaux publièrent les confidences personnelles et plus ou moins sincères, très souvent contradictoires, de rescapés appâtés par de généreuses promesses de récompense. Plus on produisait d’entretiens exclusifs et plus on encourageait les gens à se raconter. Les rédacteurs s’arrangeaient ensuite pour embellir les récits. L’emballement finira par mettre en défaut ceux qui témoigneront devant les sénateurs, spécialement lorsqu’ils démentiront les allégations de la presse. Or cette dernière avait une telle emprise sur la rumeur qu’elle finit, aux yeux de l’opinion générale, par se substituer à l’autorité des enquêteurs. Cette pratique était courante et personne ne s’en offusquait.
Parmi les acteurs du drame, certains ne se contentèrent pas d’une modeste prime pour évoquer leur expérience et négocièrent leur histoire au prix fort, notamment le télégraphiste du Titanic , Harold Bride, et son collègue du Carpathia , Harold Cottam. Cette absence d’état d’âme indigna d’autant plus l’opinion que son collègue Jack Phillips n’avait pas survécu au drame. C’est un radiotélégramme intercepté par un opérateur de l’US Navy au moment de l’arrivée du Carpathia qui dévoila toute l’affaire. Adressé aux employés de la Marconi Wireless Telegraph Company of America, il annonçait explicitement que la société avait négocié le témoignage de Bride et Cottam auprès du New York Times . Il spécifiait que Guglielmo Marconi lui-même y était favorable et qu’ils pouvaient compter sur une forte rémunération.
Le procédé en
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