Il était une fois le Titanic
début de soirée, le câblier Mackay-Bennet , commandé par le capitaine Frederick Harold Lardner, arrivait à l’endroit précis où les chaloupes du Titanic avaient été retrouvées par le Carpathia . C’est là que les agents maritimes de la White Star Line pour le Canada lui avaient donné l’ordre de commencer ses recherches.
Ayant appareillé d’Halifax deux jours plus tôt, le Mackay-Bennet ne trouva rien. La mer étale n’offrait qu’une vaste étendue sans aspérité. Sans corps ni débris, sans profanation et sans mémoire. Le commandant Lardner se dirigea donc sur les lieux où deux paquebots allemands, le Rhein et le Bremen , lui signalèrent par radio qu’ils avaient aperçu des cadavres et des débris sur leur route, sur une zone située entre 42° 01’ de latitude nord et 49° 13’ de longitude ouest. Une passagère de ce dernier déclarera : « Nous vîmes le corps d’une femme vêtue seulement de ses vêtements de nuit, étreignant un bébé contre sa poitrine, tandis qu’à proximité une femme morte serrait un chien hirsute entre ses bras 258 »…
Le lendemain à l’aube, ce que virent l’équipage du Mackay-Bennett et le personnel préposé à l’embaumement les jeta dans la consternation. Les hommes s’étaient pourtant préparés à des heures difficiles. L’agence Jones & Company, qui avait affrété le navire au nom de la White Star Line, ne leur avait pas caché que leur travail requerrait beaucoup d’abnégation. Mais comme ils s’étaient engagés volontairement pour cette mission, c’est dans la dignité qu’ils allaient l’accomplir.
Alors que le Carpathia , puis le Californian avaient quitté les lieux cinq jours plus tôt sans y trouver que deux cadavres, le Mackay-Bennett avait mis en panne au milieu de plusieurs centaines de corps flottant entre deux eaux. Toute glace avait disparu, comme si elle n’avait existé que
dans la confuse imagination des témoins. C’était comme un champ de bataille nettoyé de toute trace de sang, de meurtrissures et de traumatismes. Cette immense désolation était d’autant plus impressionnante qu’il y régnait une étrange paix, un silence profond interdisant toute espèce de révolte. Devant le spectacle de ces fantômes, on ne pouvait s’autoriser qu’une indignation contenue.
Les opérations commencèrent immédiatement. Les marins qui s’étaient offerts pour cette expédition travailleraient sans discontinuer durant neuf jours.
Les chaloupes du Mackay-Bennet furent mises à l’eau le 21 avril. Quatre marins prirent place dans chacune d’elles et commencèrent à quadriller la zone. Les corps, suspendus à leur gilet de sauvetage parfois mal noué, disparaissaient dans cet engoncement ridicule. Certains pouvaient être hissés sans peine dans les baleinières 259 , tandis que d’autres, en passe de couler, devaient être ramenés à la surface au moyen de longues gaffes.
Durant tout le temps que dura cette sinistre intervention, les conditions météorologiques n’offrirent guère de difficultés aux hommes engagés par la White Star. La grande houle venue du nord n’empêcha pas de repêcher un maximum de victimes – trois cent six exactement, dont cent seize, trop mutilées pour être identifiées, ne seront pas rapatriées. Immergées sur place après une courte cérémonie, dans un simple sac de toile lesté, elles grossiront à jamais la liste des martyrs anonymes de l’Histoire.
Sur les cent quatre-vingt-dix corps conservés par les hommes des pompes funèbres canadiennes, tous ne furent pas identifiés à bord, faute d’éléments probants. Quand on trouvait sur eux un portefeuille, une photographie ou des objets marqués d’un monogramme, tels que mouchoirs ou briquets, un nom pouvait leur être attribué. Mais, pour les autres, il faudrait attendre que des parents ou des proches reconnaissent formellement chaque dépouille, procédure
longue et compliquée. Le corps de John Jacob Astor, notamment, put être confondu grâce aux initiales brodées sur le col de sa chemise, sa chevalière de diamants et son porte-mine en or. Dans ses poches, on trouva 2440 dollars, 225 livres et 50 francs français.
Pour chaque cadavre, une description complète était enregistrée : la taille, le poids et l’âge estimé, la couleur des cheveux, les marques de naissance, les cicatrices et les tatouages éventuels, ainsi que l’inventaire de ce que l’on avait trouvé dans les vêtements. Ces
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