Il était une fois le Titanic
capitaine Lardner et l’équipage du Mackay-Bennet qui furent retenus par les autorités pour s’occuper de l’inhumation de l’enfant. John Eaton et Charles Haas racontent cette page très émouvante de la cérémonie : « L’église anglicane de Saint George débordait de fleurs et de personnes voulant témoigner leur sympathie. Après l’office, le petit cercueil blanc de l’enfant fut porté hors de l’église sur les robustes épaules de quelques marins jusqu’au corbillard qui le conduisit au cimetière de Fairview. Là, sur une colline dominant l’anse, il fut posé à terre avec les autres victimes du Titanic . Le capitaine Lardner et son équipage avaient payé une pierre de granit, plus grande que la plupart des autres, portant cette simple inscription : “Érigée à la mémoire de l’enfant inconnu dont la dépouille fut recueillie après le désastre du Titanic – 15 avril 1912.” 260 »
Dix jours plus tard, alors que l’on croyait clos ce terrible chapitre de l’histoire maritime, trois corps de plus furent débarqués du Montmagny , qui venait d’accoster à Louisburg 261 . Forte de ce nouvel espoir, la direction de la White Star Line ne voulut pas en rester là. Se sachant moralement responsable, elle décida qu’une ultime tentative serait organisée. C’est ainsi que le 15 mai, un mois jour pour jour après le naufrage, elle affrétait l’ Algerine de la Bowring Brothers Company Ltd. Parti de Saint-Jean de Terre-Neuve, le navire ne rapatria que le corps d’un jeune garçon de salle, James McGrady. Ce fut une heureuse nouvelle pour ses proches, mais une grande déception pour tous ceux qui attendaient encore que l’océan leur rendît un père, un fils, un mari. Son nom demeurera à jamais le dernier de cette liste macabre, qui entachera pour toujours le souvenir du Titanic .
S’agissant du nombre de cadavres découverts, les chiffres publiés par les historiens sont à peu de chose près concordants et peuvent se résumer ainsi. Sur les trois cent vingt-huit corps découverts en mer par l’ensemble des navires de recherches affrétés pour cette mission, cent dix-neuf furent aussitôt immergés en raison de leur état de décomposition. Parmi les deux cent neuf dépouilles ramenées à terre, deux cents furent identifiées par les autorités au moyen des effets qu’ils portaient ou des objets trouvés sur eux, les neuf autres grâce aux déclarations de leurs proches. Enfin, cinquante-neuf corps furent réclamés par leur famille à leur arrivée au Canada, tandis que les cent cinquante autres furent inhumés sur place dans les trois cimetières d’Halifax.
Les efforts poursuivis par la White Star Line furent indéniables, et les familles rentrées en possession des restes de leurs proches leur en surent gré. Mais cette courte liste ne rappelle-t-elle pas un autre cortège, plus impudique encore
par son absence et qu’était en train de ressusciter l’enquête sénatoriale ouverte le 19 avril à New York : celui de tous les disparus qui n’auraient jamais de sépulture ?
Depuis l’ouverture de son enquête, le président William Alden Smith ne laissait rien passer qu’il ne comprît pas ou que l’on tentât de soustraire à la vérité qu’il attendait. Parfois sur la seule présomption d’une culpabilité qu’il cherchait à débusquer à n’importe quel prix. N’avait-il pas promis la transparence de l’histoire ?
11
LES ATTENDUS DE LA TRAGÉDIE
En ouvrant la première séance de la sous-commission d’enquête américaine le 19 avril 262 , son président, William Alden Smith, déclara en substance : « C’est pour établir la vérité que j’ai pris l’initiative de cette enquête 263 . »
Six membres composaient la sous-commission du département du Commerce, mais le sénateur Smith ne laissera guère s’exprimer ses collègues. Bien qu’il méconnût personnellement le monde maritime, son histoire et ses usages, il tenait à garder la haute main sur le déroulement de l’enquête, aux fins de l’orienter à sa guise.
Il était 10 h 30 lorsque les sénateurs entamèrent les premières auditions. William Alden Smith voulait marquer les esprits en frappant un grand coup. C’est pourquoi il fit d’abord comparaître Joseph Bruce Ismay. Avec le patron de la White Star Line, on allait quitter la commission d’enquête pour les jeux du cirque…
À la recherche de boucs émissaires
Si l’Amérique soutenait le sénateur Smith
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