Il était une fois le Titanic
nous reste de cette ultime traversée ne nous renseigne, hélas, que sur les conséquences d’une suite de questions en suspens. Quelque hypothèse que l’on retienne, l’honnêteté impose de limiter le rôle de Joseph Ismay dans la responsabilité de l’accident. Les déclarations du commandant du Carpathia , qui lui étaient favorables, de même que la déposition à décharge du deuxième officier du Titanic , Charles Lightoller, ne le réhabiliteront pourtant pas aux yeux du tribunal informel qu’était devenue la sous-commission d’enquête. Pour faire écho à cet état de fait, les habitants d’Ismay, petite bourgade du Texas, décidèrent de la débaptiser pour échapper à l’humiliation !
Le 20 avril, cent soixante-sept membres de l’équipage du Titanic , libérés de leurs obligations vis-à-vis de la sous-commission, montaient à bord du Lapland affrété par la White Star Line. Soulagés, ils furent accueillis neuf jours plus tard à Plymouth, avec les honneurs réservés aux héros de l’Empire. Bien qu’on attendît d’eux qu’ils déposent à nouveau devant les enquêteurs britanniques, ils n’avaient plus aucune raison de s’inquiéter.
Le lendemain, 30 avril, Joseph Ismay était autorisé à rentrer lui aussi en Angleterre avec le reste de ses hommes. Toutefois, soucieux du crédit politique qu’il cherchait à donner à l’enquête, le sénateur Smith prit sans doute un certain plaisir à lui demander de reconnaître l’impartialité du débat qu’il avait présidé : « Qu’avez-vous à déclarer sur la manière dont la commission vous a traité ? », lui demanda-t-il sournoisement. À quoi le pauvre Ismay répondit qu’il « n’avait rien à lui reprocher, qu’on avait eu certainement de bonnes raisons de le retenir aux États-Unis et qu’à sa connaissance
aucun traitement inconsidéré ou déloyal n’avait été infligé à son équipage 266 »…
Le 2 mai, vers 11 heures, la presse attendait Philip Franklin et Joseph Ismay sur le perron du Ritz Carlton de Washington où ils étaient descendus pour les besoins de l’enquête, après que le sénateur Smith eut décidé que la sous-commission devait se tenir sous les lambris du Sénat plutôt que dans un palace new-yorkais. Mais les deux hommes quittèrent discrètement l’hôtel par une porte dérobée. Un taxi les conduisit à la gare, direction New York où l’ Atlantic les attendait au quai de la White Star. À bord, ils retrouvèrent une partie de l’équipage du Titanic ayant déposé devant les sénateurs, une trentaine d’hommes en tout. À midi, ils quittaient définitivement le sol américain et, le 11 mai, ils débarquaient à Liverpool après une escale à Queenstown.
À sa descente de l’ Adriatic , Ismay voulut marquer son retour d’un geste fort en annonçant à la presse qu’il allait verser la somme de 10 000 livres au Margaret Ismay Fund, que venait de fonder son épouse en faveur des familles des disparus.
Cependant, comme tous les autres protagonistes de l’affaire, il devait encore déposer devant la commission britannique. Tout n’était donc pas terminé, mais il n’aurait plus à subir les questions insidieuses que lui avaient posées les sénateurs américains à seule fin de le confondre.
Cette commission présidée par le baron Mersey, dont l’ordre d’enquête avait été rendu public à la fin du mois d’avril, avait commencé ses auditions depuis une dizaine de jours lorsque Joseph Ismay se rendit à Buckingham Gate 267 pour y être entendu. Si les experts nommés par le ministère du Commerce avaient également pour but de rechercher les causes du naufrage du Titanic , ils n’avaient nullement
l’intention de jeter le discrédit sur la White Star Line. Son avenir et celui du chantier naval de Belfast en auraient subi de graves conséquences économiques et l’intention des juges était moins de procéder à des condamnations que d’émettre des recommandations. De toute évidence, ils cherchaient à minimiser l’impact de la catastrophe sur l’opinion, de manière à contrebalancer par un aveuglement consenti la partialité des Américains. Et Mersey, qui était fils d’un entrepreneur maritime, savait éluder les questions embarrassantes. Anobli en 1910, il avait par ailleurs une autorité morale qui interdisait toute critique.
À l’inverse de l’enquête américaine, l’organisation des sessions avait été soigneusement préparée, cadrée et mise
Weitere Kostenlose Bücher