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Il neigeait

Il neigeait

Titel: Il neigeait Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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sortir de
l’hôtel, très calmes, un curé en soutane, le visage sous une mantille de femme,
et un autre, plus grand, qu’il crut reconnaître pour le fameux majordome à sa
perruque poudrée et à sa livrée. Il empoigna l’un des pistolets passés au
ceinturon. Les escogriffes se promenaient, mine de rien, se prêtaient un flacon
dont ils buvaient au goulot à tour de rôle. L’un d’eux allait prendre son briquet,
allumer la mèche qui serpentait au sol. Non. Ils passaient devant la mèche sans
y prêter attention, sans même baisser le nez, faisaient les cent pas,
revenaient, toujours causant et toujours buvant leurs rasades. Le capitaine
était sans doute manchot mais il avait une vue excellente ; sous la
soutane il remarqua des bottes à éperons. Alors quoi ? Un officier du Tsar
camouflé en prêtre ? Il leva son pistolet, s’avança dans la cour et, pour
ne pas abattre son ennemi dans le dos, lança d’une voix ferme :
    — Montre-toi !
    Le majordome se retourna. C’était le maréchal des logis
Martinon ; il avait des yeux stupides. Le capitaine frappa le pavé du
pied :
    — Graine de cornichon ! J’aurais pu te tuer !
    — Moi aussi ? dit le faux curé en écartant sa
mantille.
    — Toi aussi, Bonet !
    — Mon capitaine, comme vous voyez, on a mis la main sur
les habits de notre Russe…
    — Et sur une garde-robe complète, ajouta le dragon
Bonet en remuant la robe de sa soutane.
    — Le majordome ?
    — Rien à craindre, dit Martinon, il a dormi dans le salon
du second avec la troupe des comédiens, voilà pourquoi on l’trouvait pas.
    — Enlevez ces oripeaux et suivez-moi, incapables !
Vous vous croyez à un bal masqué ?
    Le capitaine rangea son pistolet pour s’emparer du flacon
d’eau-de-vie, qu’il termina d’une seule et longue gorgée. Puis les trois
cavaliers, en courant presque, grimpèrent l’escalier d’honneur, mais au beau
milieu du premier palier le capitaine ralentit le mouvement d’un geste ;
sur un divan traîné en haut des marches, un cuirassier russe dormait en
balbutiant des phrases inaudibles.
    — Nul danger, mon capitaine, il est pas plus russe que
nous et il est ivre.
    — Maillard ! rugit le capitaine en soulevant le
dormeur comme un sac de grain.
    Maillard ne se réveilla pas quand d’Herbigny lui arracha sa tunique
blanche à revers noirs, ni quand il le laissa retomber sur le carrelage.
Furieux, le capitaine emmena ses dragons toujours costumés en curé et en
domestique ; à l’étage supérieur il poussa la double porte du salon d’un
coup de botte ; il découvrit le dortoir des comédiens. Chacun s’était
arrangé un lit avec les meubles d’autres pièces. Madame Aurore, la directrice,
avait eu droit au canapé le plus moelleux, les autres avaient combiné des
sièges et des rideaux décrochés. Ils se réveillèrent ensemble en
piaillant ; parmi eux, un long personnage au crâne rasé, en tunique de
toile sans col, qui se tenait sur un coude, reçut en pleine figure la perruque
et la tenue de cuirassier :
    — Lève-toi ! cria le capitaine. Et avoue !
    — Avouer quoi, monsieur l’officier ?
    — Que t’es pas plus majordome que moi !
    — Je suis au service du comte Kalitzine depuis quinze
ans.
    — Faux ! Tu as le poil ras des soldats du
Tsar !
    — Pour mieux supporter ma perruque.
    — Menteur ! Et cet uniforme ?
    — Il appartient au fils aîné de Monsieur le comte.
    — Ce brave homme ne nous a pas quittés, intervint
Madame Aurore qui espérait calmer d’Herbigny dont le teint virait au
coquelicot.
    — Alibi ! Il guette le moment de nous
griller !
    — Par tous les saints du Paradis, non, disait le Russe
en se signant.
    — Lève-toi !
    — Un peu de calme conviendrait au matin, jeta le grand
Vialatoux, émergeant d’une couverture.
    — Silence ! Je connais la guerre et j’ai du
nez !
    — Il est long, votre nez, mais on ne condamne pas au
flair, dit le jeune premier qui avait passé la nuit sur des tapis d’Orient, à
côté de son armure en fer-blanc.
    Le Russe accepta enfin de se lever. Il ne regardait pas son
accusateur mais la porte ; il entrouvrit les lèvres, sans doute pour
parler ; le capitaine en profita pour lui enfoncer le canon de son arme
dans le gosier. Il tira. À l’instant où le majordome s’effondrait, en vomissant
un afflux de sang, ils entendirent crier au feu : du palier venait une
fumée grise, épaisse, rampante.
    — Emportez ce que vous

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