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Il neigeait

Il neigeait

Titel: Il neigeait Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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grenadiers
comateux. Il gravit lentement l’escalier monumental, entre le major général et
Caulaincourt, suivi de ses aides de camp. À l’inverse des prévisions
pessimistes de son entourage, il se réjouissait en découvrant ses appartements
moscovites ; que pour y parvenir il n’ait rencontré personne, à part son
armée, ne l’affectait pas. Il était volubile en contemplant le long cylindre de
la tour d’Ivan, coiffé d’une coupole que surmontait une croix géante :
« Notez qu’il faudra redorer le dôme des Invalides », dit-il à
Berthier, puis aux autres : « Nous y sommes enfin ! Ici je
signerai la paix. » Il pensait : « Charles XII aussi
voulait signer la paix à Moscou avec Pierre le Grand. » Il se tourna vers
l’église où les tsars avaient leurs tombeaux, satisfait, et ne broncha guère
lorsqu’il sut que les trésors de l’arsenal avaient été enlevés, les couronnes
du royaume de Kazan, de Sibérie ou d’Astrakhan qu’il se serait amusé à porter,
les diamants, les émeraudes, les haches d’argent des écuyers qu’il aurait
volontiers serrés dans ses bagages.
    Dans un coin du salon encombré d’officiers et
d’administrateurs en uniforme, les mains dans le dos, il écoutait maintenant
les rapports. Il apprit que le gouverneur Rostopchine avait fait atteler les
pompes à incendie, une centaine, pour les éloigner deux nuits auparavant. Le
vent propageait le feu et on manquait d’eau.
    — Trouvez des puits, détournez le fleuve, puisez dans
les lacs ! ordonnait l’Empereur. J’arrive de l’hôpital des
Enfants-Trouvés, que j’ai visité avec le docteur Larrey, et qu’y avait-il dans
la cour principale ? Une fontaine à réservoir qui distribue l’eau de la
rivière dans tout le bâtiment ! Quoi encore ?
    — Par des marchands étrangers, sire, nous savons qu’un
chimiste hollandais, ou anglais…
    — Anglais, si c’est pour me nuire !
    — Un Anglais, donc, Smidt ou Schmitt, préparait un
ballon incendiaire…
    — Foutaise !
    — À bord, un équipage d’une cinquantaine de personnes
devait lancer des projectiles sur la tente de Votre Majesté…
    — Refoutaise !
    — Un Italien, dentiste à Moscou, nous a indiqué le
repaire de Smidt à six verstes de la ville.
    — Eh bien allez voir ! Quoi d’autre ?
    — Il paraît que les seigneurs russes voudraient arrêter
la guerre, dit un colonel polonais. Quant à Rostopchine et Koutouzov, ils se
détestent.
    — À la bonne heure !
    — Des prisonniers russes l’affirment, sire, mais nous
n’avons aucune certitude.
    — Berthier ! Rabat-joie ! Moi je vous dis
qu’Alexandre signera la paix !
    — Sinon ?
    — Nos quartiers sont assurés. Quand les incendies seront
éteints, nous hivernerons dans cette capitale, entourés d’ennemis, comme un
vaisseau pris par les glaces, et nous attendrons la belle saison pour reprendre
la guerre. Derrière, en Pologne, en Lituanie, nous avons laissé en garnison
plus de deux cent cinquante mille hommes, ils nous ravitailleront, ils
garantiront la liaison avec Paris, nous lèverons cet hiver de nouveaux
contingents pour nous renforcer, alors nous marcherons sur Pétersbourg.
    Napoléon ferma les yeux et ajouta :
    — Ou bien vers l’Inde.
    Les témoins se raidirent, on en vit qui ouvraient la bouche
d’étonnement mais personne n’osa soupirer.
     
    Ce n’était pas une rue qui bordait les arrières de l’hôtel
Kalitzine, comme d’Herbigny l’avait cru, mais une cour fermée de hauts murs,
avec des écuries sans paille ni chevaux, des remises où l’on rangeait les
voitures. Le capitaine s’y postait depuis la découverte de cette mèche, qui
pendait par un trou d’une fenêtre basse ; il comptait prendre
l’incendiaire sur le fait, qu’il parle, qu’on le tue. Ses cavaliers avaient
visité en vain l’hôtel pièce par pièce, disaient-ils, mais le majordome s’était
évanoui. Il devait y avoir des recoins, des cachettes, des secrets dans les
murs du bâtiment, comme à Paris, à l’époque du Tribunal de Fouquier-Tinville,
ces cloisons doublées derrière lesquelles les aristos et leurs espions
échappaient à la Terreur. Dès que le jour s’était levé, d’Herbigny, abrité à
l’ombre des écuries, continuait sa discrète surveillance. Éreinté par une nuit
tourmentée et vigilante, il s’assit sur une borne contre le portail. Il n’avait
pas quitté sa pelisse rouge doublée de renard. Tout à coup il vit

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