Il neigeait
pouvez et dehors !
— On aurait dû couper la mèche, mon capitaine…
— Vous auriez pu y penser, Martinon !
— J’avais pas d’ordre.
Madame Aurore et ses comédiens, avec les dragons déguisés,
dont l’un avait relevé sa soutane en la tournant dans son ceinturon, se
précipitèrent en panique dans l’escalier ; ils ne voyaient plus les
marches.
— Vous aussi ! dit le capitaine au jeune premier à
quatre pattes dans le salon, le nez dans la fumée dense au ras du sol.
— L’homme que vous avez assassiné…
— Exécuté !
— En tombant dessus, il a aplati notre armure de Jeanne
d’Arc.
— Si vous voulez flamber comme Jeanne d’Arc, c’est
votre affaire !
— Non non, je viens.
Ils rejoignirent les autres à mi-palier ; la fumée leur
montait maintenant à la taille et le grand Vialatoux faillit perdre
l’équilibre.
— Cramponnez-vous à la rampe !
— J’ai buté sur une chose molle.
D’Herbigny se pencha, tâtonna dans la fumée, rencontra du
bout des doigts un corps, le releva, c’était Maillard, aussi asphyxié qu’ivre,
lourd, qu’il agrippa par le col et tira jusqu’en bas. Ils descendaient en
suffoquant dans un nuage qui piquait les yeux ; ils se protégeaient la
bouche et le nez avec leurs vêtements, un mouchoir, une écharpe. Paulin était
sorti de la chambre du comte, embarrassé du portemanteau, et il poussait devant
lui Catherine et Ornella, drapées dans des nappes ; elles se frottaient
les yeux, s’étranglaient à force de tousser. « Vite ! » disait
d’Herbigny à sa troupe qui dévalait l’escalier en étouffant, sans même songer à
avoir peur ; au rez-de-chaussée, il apercevait des flammes sous une porte
qui craquait en brûlant. « Vite ! vite ! » répétait-il, et
ils se ruaient vers le portail du vestibule mais, sur le perron, les molosses
enchaînés menaçaient de mordre. Surgi d’un coup par l’arrière de l’hôtel, le
feu gagnait déjà les grands rideaux. Le capitaine posa le dragon Maillard sur
les dalles, tua l’un des chiens avec son second pistolet ; il n’avait
hélas pas le temps de recharger, et avec quoi ? Quant à Martinon et Bonet,
ces imbéciles, ils avaient égaré leurs armes lorsqu’ils s’étaient travestis.
Paulin, agenouillé près de Maillard, constatait :
— Celui-là, Monsieur, il est mort.
— Il ne fera plus crier la poule, ce bougre
d’idiot !
Alors le capitaine reprit le cadavre par le bras, il le présenta
à l’autre molosse qui y planta ses crocs comme dans un quartier de viande.
— Profitez-en pour filer ! commanda d’Herbigny aux
fugitifs qui coururent jusqu’à l’avenue où les cavaliers du peloton avaient du
mal à tenir les chevaux, terrifiés par les incendies qui se multipliaient.
Sébastien restait le crayon en l’air. Les secrétaires ne
savaient jamais si l’Empereur voulait dicter une seule lettre ou plusieurs à la
fois, aussi étaient-ils prêts à prendre des notes, au crayon car le débit
rapide et bousculé de Sa Majesté ne permettait pas de composer à la plume, sur
le moment, des phrases entières et correctement moulées. Le baron Fain, après
son collègue Méneval, avait imaginé une sorte de code : il s’agissait de
choper au vol les mots clés puis de reconstruire un texte cohérent grâce à ces
aide-mémoire ; ensuite on recopiait à l’encre en soignant les formules et
en rajoutant les politesses usuelles. Au début, Sébastien avait redouté
l’exercice, et de trahir la pensée de Napoléon, mais Fain l’avait rassuré :
« Sa Majesté ne relit jamais ce qu’Elle signe. » Ce jour-là, les
secrétaires attendaient donc, le nez contre le mur, devant leurs pupitres, ce
qui compliquait la dictée car il était impossible, dans cette position, de
déchiffrer les mots mal compris sur les lèvres du monarque. Lui, mains dans le
dos, allait marcher de long en large, bredouiller, invectiver ou grogner.
Napoléon voulait expédier un message au Tsar pour lui proposer la paix ;
les secrétaires en étaient informés pour faciliter leurs improvisations
finales ; il faudrait trousser un mot à la fois majestueux, amical et
conciliant, voilà pour le ton. Mais le fond ? Ils attendaient quand le
major général entra dans le salon sans s’annoncer, avec des grenadiers de la
Vieille Garde aux longs manteaux gris ; ils conduisaient un moustachu
couvert d’une peau d’ours.
— Berthier, vous m’ennuyez ! dit
Weitere Kostenlose Bücher