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Il neigeait

Il neigeait

Titel: Il neigeait Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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du
Kremlin, des soldats de la Garde balaient les cendres chaudes apportées par le
vent. On en voit d’autres aux fenêtres du Sénat, ils jettent les archives afin
de ne pas nourrir le feu à l’intérieur du bâtiment, et les papiers voltigent,
s’enflamment parfois, se consument en l’air. De nouveaux incendies s’allument
maintenant à l’ouest de la ville, puis tout près, aux écuries du palais et sur
l’une des tours de l’Arsenal. On entend le tocsin. Des vitres dégringolent, le
vent d’est redouble.
    — Allons voir, dit l’Empereur en prenant le bras de
Caulaincourt.
    Avec des chiffons, pour ne pas y laisser la peau de ses
doigts, le mamelouk Roustan ouvre une porte-fenêtre. L’air brûle la gorge. Dans
une nuée de cendres, le cortège quitte les appartements impériaux par le grand
escalier de la façade. Les uns se nouent un mouchoir sur la nuque pour se
protéger le nez et la bouche, d’autres remontent leur manteau sur la tête. Des
grenadiers en capotes grises, baïonnette au canon, encadrent Napoléon et sa
suite. Sébastien s’enfonce sur le front son chapeau à large bord, relève ses
collets et leur emboîte le pas. Ils se hâtent, s’époussettent parce que des
escarbilles ardentes tombent sur leurs vêtements qu’elles trouent. Le poil d’un
bonnet commence à griller, le grenadier l’ôte et le tape contre les marches.
Sur l’esplanade, palefreniers et piqueurs attellent les nombreuses calèches de
l’intendance ; à peine sortis des écuries dont la couverture risque de
s’effondrer, les chevaux indociles hennissent ou se cabrent, refusent le
harnais, battent le pavé de leurs sabots. Le départ se précise, chacun s’y
prépare dans la confusion. On crie, on s’affole, on s’agite ; des
commissaires en habits noirs chargent dans leurs voitures des colis de vin ou
de tabac, des statuettes, des violons. Un colonel essoufflé arrive au pas de
course devant l’Empereur :
    — Un mur a croulé au nord !
    — Sire, il faut traverser la Moskova au plus tôt !
    — Par le portail principal, dit Berthier.
    Les battants poussés, une barrière de feu borne la place
monumentale. Les rues étroites qui mènent au fleuve, sur la droite, sont
couvertes d’une voûte de flammes. Des pans de maisons s’éboulent et compliquent
le passage.
    — Là, sire, où l’incendie est le plus faible, il n’y a
qu’une barrière de feu à traverser.
    — Sire, on va vous rouler dans nos manteaux et vous
porter.
    — Rentrons, dit l’Empereur, effrayant de calme.
    Sa redingote est roussie à plusieurs endroits.
    En s’ajoutant au cortège, Sébastien était sûr de sortir
parmi les premiers de Moscou, avant que l’incendie ne gagne l’ensemble du
Kremlin, et il retraversait l’esplanade en sens inverse, le visage noirci de
fumée. Il s’arrêta au pied de l’interminable escalier que l’Empereur montait
jusqu’à sa terrasse. Le jeune homme avait la jambe molle, plus de réactions.
Autour, les civils de l’administration, les commissaires, les personnels du
palais continuaient à entasser dans leurs voitures, même sur les toits, des
monceaux de marchandises soustraites aux caves, surtout des bouteilles.
Chassant de sa redingote les poussières incandescentes qui tombaient sans
relâche, Sébastien longea la file des calèches et des berlines surchargées. Le
baron Fain tenait un tissu en tampon contre son nez, mais Sébastien le reconnut
à son uniforme :
    — Monsieur le baron !
    La portière était fermée, l’autre n’entendait pas, somnolent
entre une déesse de marbre blanc, des tapis et des sacs. Sébastien cogna à la
vitre, la portière s’ouvrit et Fain le disputa :
    — Que fabriquez-vous ici, monsieur Roque ?
    — J’étais avec Sa Majesté…
    — Mais vous n’y êtes plus ! Vous assuriez la
veille, cette nuit ?
    — Oui…
    — Déserteur ! À qui Sa Majesté va dicter son
courrier, si l’envie lui en prend ? Allez ! Non, un moment. Qu’est-ce
que l’Empereur a décidé ?
    — Il est remonté vers ses appartements avec le major
général, je ne sais rien de plus.
    — Filez ! dit le baron Fain en refermant sa
portière d’un geste brusque et inhabituel.
     
    Comme beaucoup de soldats qui se plaisent à obéir pour ne
pas penser, d’Herbigny était un homme simple avec des plaisirs animaux et des
goûts communs : l’inaction le minait. Pas question de se reposer ;
ressasser des sempiternels souvenirs l’aurait aigri, il

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