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Il neigeait

Il neigeait

Titel: Il neigeait Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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en
montrant une direction.
    — Au secours !
    D’Herbigny vit son domestique emporté par le baudet dans la
direction qu’indiquait le Moscovite. Paulin tenait son chapeau et
glapissait ; les autres dragons le suivaient au grand trot, ils riaient.
    — Qu’est-ce qui lui prend, à cet âne ?
    — J’lui ai caressé le poil avec le briquet, mon
capitaine, dit le cavalier Bonet.
    — En selle, vous deux ! commanda d’Herbigny aux
dragons qui avaient découpé le jambon et en rangeaient les morceaux dans leurs
sacoches. Paulin imposait une marche rapide ; le capitaine dut le dépasser
pour diriger la bourrique. En peu de temps le groupe tomba sur une avenue. À
leur gauche ils entendaient le ronflement de l’incendie. Le vent tournait au
sud-ouest, il soufflait par les carreaux cassés d’une grosse maison en brique,
créa un appel d’air, aviva les flammes qui surgirent des soupiraux puis de
toutes les ouvertures. Ils manœuvraient désormais au nord de la ville chinoise.
L’âne de Paulin s’arrêta net.
    — J’en ai assez de ton âne, criait le capitaine, on ne
peut rien en faire !
    — Du saucisson ? suggéra Martinon.
    — Toi, je t’écouterai quand tu auras une tenue
décente !
    Mais des bagnards circulaient à l’orée du bazar, menés par
un policier de Rostopchine qui ne cachait pas son uniforme et levait une
torche. D’Herbigny s’élança sur lui tandis que ses cavaliers tiraient les
moujiks comme des étourneaux, au jugé et dans le tas. Le capitaine et le
policier se faisaient face. Habile au sabre, même de la main gauche, le
capitaine se rua de côté et trancha le poignet de l’incendiaire au ras de la
manchette rouge de sa veste. Sans se soucier du sang qui jaillissait à gros
bouillons, le Russe ramassait la torche avec son autre main quand le sabre lui
perça la gorge.
    Des rafales de vent promenaient dans les airs des solives de
sapin enflammées, des brandons s’écrasaient comme des projectiles. Le feu
approchait au bout de cette rue chinoise, il mangeait tout, chassait de
boutique en boutique des soldats en robes turques ou persanes, les bras chargés
d’une prise hétéroclite, bottes fourrées, peaux, sacs de thé ou de sucre, toute
une quincaillerie, et des Moscovites sortis de leurs sous-sols, des brigands,
des moujiks avinés en faisaient autant. Ces bandes silencieuses jetaient au
milieu de la chaussée des meubles, des pièces de soie ou de mousseline
d’Orient. On en voyait qui hésitaient, lâchaient du café pour s’emparer d’un
miroir au cadre en bois sculpté. De plus chanceux avaient mis la main sur une
charrette ; c’étaient les uhlans d’un régiment de la Vistule qui
accablaient de leurs cravaches les Russes qu’ils avaient attelés comme un
bétail : « À Varsovie ils ont massacré ma famille ! »
braillait un lieutenant.
    Les dragons avaient laissé leurs chevaux sur l’avenue à la garde
de Paulin, décomposé, qui protestait, et avec d’Herbigny ils enfilaient l’une
des venelles à portiques du bazar. « Attention ! » cria le
capitaine en sautant derrière un étal. Des toits écroulés, le plomb fondu
coulait en ruisseaux bouillants. « Par ici ! par ici ! »
Ils changèrent de route, enjambèrent une barricade de meubles laqués. La tôle
vernissée d’un toit tomba à quelques mètres dans un craquement, ils
s’abritèrent sous les portiques où les pillards enfonçaient des portes de magasins,
et tant pis si des poutres chutaient en crépitant ; trop occupés à amasser
leurs trésors, ils ne sentaient même pas les semelles brûlantes de leurs
bottes, brisaient des caisses, soulevaient les trappes des caves.
    Un garçon avec des cadenettes blondes de hussard qui
dépassaient d’un tricorne, boudiné dans une espèce de robe de chambre groseille
comme en portent les Kalmouks, prenait les flacons que des mains lui passaient
d’une cave ; il les empilait dans une caisse à roulettes. Les dragons
l’entourèrent :
    — On va t’aider à transporter tout ça, dit le capitaine
en posant une main lourde sur la caisse.
    — Si t’en veux, dit le hussard, t’as le choix, les
caves elles sont inondées de vin.
    — C’est tes bouteilles qui nous plaisent.
    À dix pas, des flammes surgissaient d’un grillage. Il n’y
avait pas que de l’alcool dans ces caves, mais de la résine, de l’huile, du
vitriol ; d’Herbigny n’avait aucune intention de s’attarder. Le hussard
résistait, appelait à l’aide

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