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Il neigeait

Il neigeait

Titel: Il neigeait Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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réguliers, des casques en cuivre jaune. Ils approchaient et leurs
accoutrements se dessinaient mieux. Des Russes, à cause de certaines bottes à
bouts retroussés ? Un détachement venu parfaire le désastre ? Le
premier avait un long nez, des moustaches claires à la gauloise, un habit vert
de la Garde ; un abbé en soutane relevée le suivait, et des hommes en
longues vestes brodées, cimeterres à la ceinture. Ils tramaient une caisse à
roulettes. Leurs petits chevaux à crinières longues étaient chargés de butin.
Cette troupe composite s’arrêta devant Sébastien, qui se leva, pensait qu’on
allait le tuer. « Dire que je m’en moque ! Ça doit être le punch, ou
bien la fatigue… » Deux cavaliers se chuchotaient des mots à l’oreille, et
leur chef dit en français :
    — Restez pas là, monsieur Roque, vous allez rissoler
comme une pièce de bœuf.
    — Vous savez mon nom ?
    — Rouen, les filatures…
    — Vous êtes de Normandie ?
    — Herbigny, ça vous évoque rien ? Herbigny, vers
Canteleu, un peu avant Croisset.
    — Je vois le château, oui, les tilleuls, la prairie
descend jusqu’à la Seine en pente douce…
    — C’est mon nom, c’est ma maison depuis la mort de mon
père qui a connu le vôtre.
    — Vous êtes d’Herbigny, ça alors !
    — Paulin ! Mets le sac de Monsieur Roque avec mon
portemanteau, et toi, Bonet, cède-lui ton bidet, tu marcheras, ça t’apprendra à
jouer les curés !
    — Je peux aller à pied, dit Sébastien.
    — Lui aussi. On s’exécute, Bonet ? (À
Sébastien :) J’ai besoin de punir ce vaurien, sa soutane me fait
honte.
    — Y’a l’cheval de Martinon, disait le dragon Bonet.
    — Tu crois qu’il est pas assez chargé avec nos tissus
et nos provisions ? Et puis c’est un ordre, nom de Dieu !
    Ils repartirent au pas dans des rues dégagées, allongèrent
leur chemin pour tourner l’incendie et rejoindre la campagne. Au bruit du feu,
à l’effondrement des toitures s’ajoutaient les hurlements des dogues, attachés
selon la coutume moscovite aux portes de cinquante palais ; oubliés, ils
brûlaient. Sébastien en aperçut sous un péristyle. Exaspérées par la chaleur,
les bêtes tiraient sur leurs chaînes brûlantes, mais le fer ne cédait pas, le
feu les entourait, les tenait prisonnières, elles remuaient en tous sens pour
ne pas se griller le dessous des pattes ; des poutres en s’écrasant les
couvraient d’étincelles, les pelages s’enflammaient, elles s’égosillaient une
dernière fois avant de rôtir vives.
    Les cavaliers suivaient désormais les berges de la Moskova,
dépassaient des ponts calcinés ; les piles se détachaient, fumaient dans
l’eau en grésillant. Ils empruntèrent un pont de pierre dont les arches avaient
résisté à l’incendie du faubourg. Le fleuve charriait des bois noirs. La route
était illuminée par la fournaise. Dans la plaine, des feux plus domestiques
marquaient les bivouacs du corps d’armée de Davout.
    Ils tournaient le dos à la ville torride et avançaient en
direction de Petrovsky où s’était replié l’Empereur. Comme la route était
étroite (en largeur, elle devait mesurer moins de trois mètres), ils furent
empêchés de passer par une berline qui stationnait en son milieu et l’occupait
toute. Le capitaine mit pied à terre, bougon, avec l’intention de secouer un
postillon que le vin avait assoupi. Il contourna la berline. Une calèche
découverte avait versé dans le bas-côté ; les occupants des deux véhicules
essayaient de reposer celle-ci sur ses roues avec des « ho ! »
et des « ahan ! ».
    — Vous tombez à point, s’écria l’un des passagers,
rouge brique, coulant de sueur, gilet déboutonné et manches retroussées ;
il s’épongeait le front avec un jupon de dentelles.
    — Des blessés ? demanda le capitaine.
    — Rien que des bosses et de la farine gâchée.
    Il montrait des sacs craqués dans le fossé :
    — Je sais bien que cette fichue route est difficile,
mais le cocher, s’il avait bu moins… On ne peut pas se plaindre de
l’éclairage !
    Et ses joues tremblaient en regardant Moscou. Une musique grinçante,
surgie d’on ne savait où, leur agaçait les dents ; l’homme se
désolait :
    — C’est Bonnaire ! Il croit savoir le violon.
    — Monsieur Beyle ? dit Sébastien.
    — Ah c’est vous, monsieur le secrétaire ?
Bonnaire, oui, Bonnaire, l’enfant gâté le plus bête et le plus foireux que

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