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Il neigeait

Il neigeait

Titel: Il neigeait Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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elle a l’air
morte, voyez, son souffle, pas de buée sur mon miroir.
    — Quand je dors, je fais pas de buée sur les
miroirs ! Ce que vous affirmez est impossible ! Et de quoi serait-elle
morte, puisque vous êtes si savant ?
    — On pourrait l’emmener à l’officier de santé…
    — Remettez-la sur pied ou je vous tords le cou !
    — Si vous me tordez le cou, ça fera deux morts.
    Le nigaud avait de la logique. Il se pencha encore sur le
lit de fourrure, observa le blanc de l’œil, le teint du visage :
    — On dirait qu’elle a été empoisonnée.
    — Tu ne l’as pas surveillée en permanence ?
demanda le capitaine à Paulin.
    — Si, sauf quand je lui ai préparé son déjeuner.
    — Qu’est-ce que tu lui as donné ?
    — Un morceau du foie de jument.
    — Il ne fallait pas ! Cette viande était à moitié
pourrie !
    — Nous n’avions rien d’autre…
    — Quand il y a poison, il y a contre-poison, ajouta le
nigaud.
    — Administre ta potion, chuchota le capitaine d’une
voix cassée.
    — Ah ça, faudrait un pope, eux ils savent ces choses,
ils ont le secret des herbes, ils récitent des prières qui guérissent, ils
disposent des icônes bénéfiques, c’est mon officier de santé qui me l’a dit.
    D’Herbigny se mit à croire que les morts pouvaient
ressusciter, que la magie était efficace, que la fumée d’encens dissolvait les
maux. L’Empereur autorisait le culte pour apprivoiser la population russe
demeurée à Moscou. Les popes officiaient à nouveau. Quand le capitaine
descendit commander à ses hommes de débusquer l’un de ces prêtres dans une
église non investie par la troupe, il apprit que toutes les religieuses étaient
mortes empoisonnées. Le foie de jument n’avait pas tué Anissia.
     
    Au long des interminables couloirs du Kremlin, des plantons
gardaient chaque porte. Garder est sans doute exagéré. Ces grenadiers en
pelisses avaient remplacé leurs ceinturons par des châles de cachemire, leurs
oursons par des bonnets kalmouks aux formes torturées ; les moins ivres se
tenaient au mur, les autres, assis, plongeaient de longues cuillers en bois
dans des vases en cristal mat, mangeaient des confitures exotiques qui
donnaient soif, buvaient et buvaient encore une eau-de-vie robuste. Leurs armes
traînaient entre les pots et les bouteilles vides. Sébastien ne prêtait plus attention
à ce spectacle quotidien. Comme il se dirigeait vers la salle à manger du
personnel, il rencontra des Russes en civil, avec leurs brassards, nœud de
rubans blancs et rouges ; un semblant d’organisation se mettait en place,
l’Empereur avait rétabli une municipalité, distribué des postes aux commerçants
et aux bourgeois qui avaient refusé de fuir avec Rostopchine.
    Aides de camp, officiers, médecins ou payeurs se
retrouvaient aux repas dans une immense pièce tendue de velours rouge ; un
pilier central soutenait les voûtes qui découpaient la salle en quatre.
    — Monsieur le secrétaire !
    Henri Beyle, attablé devant un plat fumant, faisait signe à
Sébastien de le rejoindre :
    — Je vous ai gardé une place à côté de moi.
    — Qu’est-ce que vous mangez ?
    — Une fricassée.
    — De quoi ?
    — On dirait du lapin…
    — Ça doit être du chat.
    — Ce n’est pas si mauvais, avec les épices et un verre
de malaga.
    Sébastien se servit de haricots mais repoussa la fricassée.
Les deux hommes discutèrent du mérite des Lettres à mon fils de
Chesterfield, le livre dérobé dans une bibliothèque de Moscou, puis ils
échangèrent des propos sur la peinture italienne, dont Beyle avoua écrire
l’histoire. Ils se disputèrent sur Canaletto.
    — Je sais pourquoi vous aimez Canaletto, monsieur le
secrétaire. Ses paysages vénitiens ressemblent à des décors de théâtre,
d’ailleurs, avec son père et son frère, quand il était jeune, il a peint des
décors, des balustrades, des perspectives mirobolantes. Sur toile, je trouve le
résultat un peu raide.
    — Monsieur Beyle ! Raide ? Il y a une
perfection…
    — Oui ?
    Sébastien ne parlait plus, les yeux braqués sur de nouveaux
arrivants que conduisait Bausset, le préfet du palais.
    — Ces civils ont l’air de vous captiver.
    — Je les connais un peu…
    — Qu’est-ce qu’ils fichent dans nos murs ?
    — C’est une troupe de comédiens français. Ils jouaient
à Moscou.
    — Les jeunes filles, hé ! Pas mal, my dear. Vous
qui aimez tant le théâtre, jusque

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