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Il neigeait

Il neigeait

Titel: Il neigeait Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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vos
notes.
    Pour montrer sa satisfaction, l’Empereur vous tirait
l’oreille à la décrocher, ou bien il vous appliquait une gifle de toutes ses
forces. Sébastien eut la joie de recevoir les cinq doigts impériaux sur la
joue, ce qui valait une décoration.
     
    — Durtal ! en reconnaissance.
    Le dragon commença la traversée d’une passerelle étroite et
longue au-dessus d’un ravin, à pied, lentement, ne tenant la bride de son
cheval qu’entre le pouce et l’index, selon la consigne, pour ne pas être
entraîné si l’animal trébuchait et tombait. Les autres le regardaient.
D’Herbigny avait embarqué une trentaine de ses hommes vers le sud, dans la
campagne qui succédait au désert de sable jaune. La remarque du contrôleur
Poissonnard l’avait piqué, il s’était juré de capturer un troupeau. Ils avaient
laissé Moscou avant l’aube, sous la pluie, les bottes garnies de paille car il
y avait eu des gelées pendant la nuit. Il ne pleuvait plus, après quatre heures
de marche, mais le vent soufflait en rafales brusques, les manteaux humides
flottaient sur les épaules, les crinières volaient. De l’autre côté, ils
distinguaient des maisons de sapin et de mousse. Une fumée montait des toits de
planches. Ces paysans faisaient du feu, ils n’avaient pas fui, ils avaient des
provisions, du fourrage, peut-être des bêtes.
    — Durtal !
    La passerelle venait de céder comme le dragon était à
mi-parcours : l’homme, sa monture, les rondins du tablier s’écrasèrent au
bas du ravin pierreux. D’Herbigny détourna les yeux. Durtal ne hurlait plus.
Restait à contourner le ravin qui semblait s’abaisser avant l’horizon, revenir
jusqu’aux cabanes, à couvert dans la forêt si elle n’était pas trop dense. Ils
avançaient en file contre le vent, ne se risquèrent pas sur une seconde passerelle
qu’ils soupçonnaient fragile ou sabotée, trouvèrent un passage possible en fin
de matinée. À l’instant où ils grimpaient sur l’autre versant, ils entendirent
le cri de guerre des cosaques, Hourrah !, et virent une petite
troupe en casquettes plates, lances et piques en avant pour les embrocher, qui
chargeaient au galop. Le capitaine se revoyait en Égypte ; les cavaliers
arabes procédaient de la même façon pour harceler, ils surgissaient,
frappaient, s’éparpillaient, revenaient d’un autre côté.
    — À terre ! en position !
    Les dragons savaient la manœuvre. Ils s’abritèrent derrière
leurs chevaux, épaulèrent. Les cosaques leur fonçaient dessus ; quand ils
furent à dix mètres le capitaine commanda le feu. La fumée des tirs une fois
dissipée, ils contemplèrent leur tableau de chasse : deux chevaux et trois
hommes ; le troisième cheval broutait des herbes sèches au flanc du ravin.
Le reste des cosaques avait fait volte-face et se perdait dans la forêt. Les
dragons rechargeaient.
    — Des blessés ?
    — Pas un, mon capitaine.
    — On a eu de la veine.
    — Sauf Durtal.
    — Oui, Bonet, sauf Durtal !
    D’Herbigny avait eu l’intention de s’établir pour la nuit
dans le hameau qu’il avait tout à l’heure aperçu, mais il n’était plus question
d’entrer dans cette forêt dangereuse, ni de camper. Il donna à regret l’ordre
du repli, et ils poussèrent au plus vite leurs chevaux fourbus. Bredouille, le
capitaine avait la consolation d’avoir récupéré un animal résistant et des
bottes en peau d’ours, poils en dedans. Elles étaient trop petites pour
lui ; il les offrirait à Anissia, la nonne aux cheveux courts, sa protégée
dont il avait appris le nom.
    Sous une pluie battante, les maraudeurs rentrèrent avant la
nuit au couvent de la Nativité. L’eau giclait des toits, dégoulinait des
auvents sans gouttières ; d’Herbigny franchit en courant cette cataracte
pour se mettre enfin à l’abri. À l’intérieur il ôta son manteau trempé, son
gros bonnet gorgé d’eau qui lui aspergeait le visage. Au milieu de la pièce voûtée
qui servait naguère de parloir, des dragons bougonnaient devant une montagne de
sacs.
    — Que se passe-t-il ?
    — On a not’ solde, mon capitaine.
    — Et ça ne vous réjouit pas, tas de vauriens !
    — Ben…
    Le capitaine prit un sac, l’ouvrit, en tira une poignée de
pièces jaunes.
    — C’est du cuivre ?
    — Ça vaut rien qu’leur poids.
    — Vous préférez des faux assignats ?
    Comme on avait trouvé des quantités de monnaie en cuivre
dans les caves des tribunaux,

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