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Il neigeait

Il neigeait

Titel: Il neigeait Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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ou une auberge.
    Sébastien et le baron partis, le libraire fouilla dans ses
besaces ; il en retira une saucisse fumée, une bouteille et des biscuits.
Les biscuits avaient mal supporté les cahots de la route, ils s’étaient
émiettés. La famille partagea sans un mot. Un grenadier frappa à la vitre et
Sautet lui ouvrit. Un petit vent froid les fit grelotter. Le soldat portait une
marmite qui réjouit les voyageurs.
    — Ah ! on s’occupe tout de même de nous.
    — Z’avez des blessés ? demanda le grenadier.
    — Deux à l’intérieur de la berline.
    Un autre grenadier, avec une louche, remplit deux écuelles
d’un liquide fumant et clair qu’il tendit à Sautet.
    — Je m’en charge, dit ce dernier. Ouch ! mais ça
brûle !
    Il donna une écuelle à sa femme, plongea ses lèvres dans la
seconde et but à longues gorgées.
    — Hé ! c’est réservé aux blessés, répéta le
grenadier.
    Le chien noir aboya, ce qui retint l’attention des
grenadiers.
    — Silence, Dimitri ! dit Madame Sautet en grondant
le chien.
    — Qu’est-ce qu’il a, notre chien ? Pourquoi le
regardez-vous comme ça ?
    — Il est appétissant, dit l’un des grenadiers en
claquant la portière pour livrer sa soupe à d’autres blessés.
    Le libraire but une nouvelle lampée avec une grimace :
    — Immonde !
    — Sans doute, mon ami, dit son épouse, mais c’est
chaud.
    — Il ne s’agit pas de ce brouet, madame Sautet. Vous
n’avez pas entendu la réflexion de cet escogriffe à propos de Dimitri ?
Appétissant !
    Il termina son bol. Elle but et passa le récipient à sa
fille qui en respira les vapeurs amères. C’était une soupe d’orge au goût
désagréable, dont les blessés n’eurent pas une goutte. Comme on manquait de
sel, les marmitons du régiment y jetaient de la poudre. En bouillant dans la
marmite, le charbon et le soufre décomposés montaient en surface ; ils les
écumaient à la louche ; le salpêtre qui restait suffisait à
l’assaisonnement, mais il laissait un mauvais goût au fond de la gorge et
tordait le ventre. Lorsque Sébastien retourna peu après chercher une fourrure
dans les voitures du secrétariat, il trouva Sautet dans la cour, accroupi, la
culotte sur les genoux ; il se relâchait les intestins à l’abri d’un
auvent.
    — Nous étions si heureux à Moscou ! se plaignait
le libraire, surpris par le secrétaire dans cette posture.
    — À Kalouga, dit Sébastien en éclairant le bonhomme de
sa lanterne, nous aurons des troupeaux, des vergers, des greniers remplis.
    — À cette vitesse, mon pauvre ami, nous n’y serons pas
de sitôt !
    — Que risquons-nous, près de Sa Majesté ?
    — D’abord une bonne diarrhée, marmonna Monsieur Sautet.
    Il se leva en remontant sa culotte, rectifia ses
bretelles ; regardant le jeune homme de très près, il lui souffla au
visage son haleine gâtée par la soupe :
    — J’admire votre confiance mais je connais la région,
moi. Je connais les gorges encaissées qu’il va bien falloir franchir, et les
marais de la Nara qu’on devra traverser, mais comment, grands dieux, avec tout ce
monde et ce désordre ?
    Sébastien ne savait quoi répondre, il se détourna, éclaira
la voiture des bagages, sortit de l’amas des paquets et des fourrures une
pelisse en agneau d’astrakan qu’il porterait sous sa redingote. Là-haut, les
secrétaires n’avaient droit qu’à une salle glacée, aux fenêtres sans
carreaux ; le peu de bois sec était réservé à l’Empereur et aux cantines
de la Garde.
    Ils repartirent au matin. Le baron Fain et son commis
éternuaient et se mouchaient quand ils retrouvèrent leurs places dans la
berline, à côté du libraire et de sa famille. Ceux-ci avaient une triste mine
et somnolaient sous des peaux de mouton. L’un des blessés délirait. Ils
n’assistèrent pas, ce jour-là, aux accidents qui survinrent dans les défilés,
la caravane de l’Empereur avait la priorité et les soldats organisés
l’emportaient sur les civils, qu’ils repoussaient pour les précéder ;
derrière eux, beaucoup de voitures brisèrent leurs roues et chutèrent dans un
précipice avec leurs passagers. On commençait à voir des fugitifs, surchargés,
qui se délestaient d’un excès de butin, et ils semaient des sacs de perles, des
icônes, des armes, des rouleaux de tissus que les suivants piétinaient avec
indifférence.
     
    La traversée des marais dura une journée entière, le
lendemain, dans

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