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Il neigeait

Il neigeait

Titel: Il neigeait Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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la tête pour mordre dans le
foie, rudoyée par un bourgeois en pelisse fourrée qui exigeait sa part. Des
boulets pleuvaient. Quand il regagna le terrain plat, après la côte maudite,
d’Herbigny entoura ses bottes cuites par la neige de chiffons qu’il ficela avec
les colliers. Puis il reprit le commandement de son escadron à pied, sauf
quatre cavaliers qui avaient enfourché les mules. Le maréchal des logis Bonet
les engueulait : si la hiérarchie était encore respectée, il avait droit
selon son grade à une mule, mais la discipline flanchait et Bonet protestait en
vain.
     
    Les fuyards avaient les yeux fatigués par un vent glacial,
la réverbération les aveuglait, mais un jour de novembre, à midi, ils
reconnurent les clochers de Smolensk au milieu des montagnes qui fermaient l’horizon.
C’était le salut, un abri, du feu, des vêtements pour remplacer les haillons où
fourmillait la vermine. En approchant des murailles, les plus exténués se
découvraient une énergie. Toutefois, la caravane des vagabonds butait contre
les portes closes de la ville, et des groupes montaient leurs tentes dans les
bastions, les fossés enneigés.
    D’Herbigny pressa son cheval cosaque. Des factionnaires en
capotes grises interdisaient la ville et interrogeaient sur le même registre
quiconque avait la prétention d’y entrer :
    — Qui êtes-vous ?
    — D’Herbigny ! François Saturnin d’Herbigny,
capitaine aux dragons de la Garde.
    — Et où il est, vot’ escadron ?
    — Ici !
    Dans un vaste mouvement du bras, le capitaine présenta la trentaine
de cavaliers démontés qui lui restaient, attifés, blancs de givre, tignasses
longues, barbes en broussaille, visages noircis par la fumée des bivouacs et la
crasse.
    — C’est un escadron, ça ?
    — 4 e  escadron, brigade Saint-Sulpice.
Ceux qui manquent sont sous la neige ou dans l’estomac d’un loup.
    — Qui m’le prouve ?
    Les hommes s’étaient alignés comme pour défiler, désireux de
montrer une apparence plus militaire et impressionner ces empotés de soldats.
Sur un ordre du capitaine, ils déclinèrent leur identité au garde-à-vous :
    — Maréchal des logis Bonet !
    — Cavalier Martinet !
    — Cavalier Perron !
    — Cavalier Chantelouve !
    — C’est bon, c’est bon, dit l’un des factionnaires,
caporal des chasseurs.
    Le portail entrebâillé, ils purent entrer dans Smolensk au
pas cadencé, malgré les engelures et les paquets de tissus qui leur
emmaillotaient les pieds. En partie incendiée par les Russes au mois d’août,
Smolensk n’avait pas été restaurée par les troupes d’occupation. Les dragons ne
jouaient plus la comédie. Sans témoins, sans factionnaires à amadouer, ils
perdaient leur allure martiale au spectacle des rues. Les maisons n’avaient
plus de toit, ils ne rencontraient que des chevaux crevés, rongés jusqu’à l’os,
des tas de corps se décomposaient et puaient malgré la rigueur du froid. Gisant
au bas d’un mur, un Espagnol gelé s’était grignoté les poignets, un autre
marchait vers eux à quatre pattes sans avoir la force de mendier. Près de la
citadelle, des ambulanciers portaient leurs malades à l’intérieur d’une bâtisse
sévère. Les patients étaient en sueur, ils tiraient des langues sèches et
noires, on leur donnait à boire de la neige. En questionnant l’un des
ambulanciers, d’Herbigny apprit que le typhus sévissait, que l’Empereur était
arrivé la veille, que les distributions de nourriture avaient commencé, d’abord
réservées à la Garde. « Voilà qui tombe à point, se réjouissait-il, nous
appartenons justement à la Garde. Où sont les magasins ? »
L’ambulancier indiqua l’entrepôt, il ajouta que les officiers des vivres exigeaient
un reçu signé et tamponné par l’administration militaire en échange des
rations. C’est ainsi que le capitaine, dans la citadelle, se heurta au
contrôleur Poissonnard, chargé des subsistances : au moins, il n’avait pas
à prouver son grade ni son unité. Il se planta devant le contrôleur, toujours
aussi rond et bien portant ; enfoncé dans des fourrures, il trônait
derrière son bureau.
    — Signe-moi un reçu, vieille fripouille ! dit le
capitaine.
    — Vous êtes officier ? Quel régiment ?
    — Quoi ! Tu ne me reconnais pas ?
    — Je ne vois pas…
    — D’Herbigny, cochon de voleur !
    — Attendez… Ah oui, peut-être…
    — Comment ça, peut-être  ?
    — Avec

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