Imperium
dans ma petite alcôve, aussi le reste
de la dispute m’échappa-t-il. Mais, durant les jours qui suivirent, l’atmosphère
de la maison resta aussi cassante que du verre de Neapolis.
— Tu vois quelle pression je dois subir ? se
plaignit Cicéron le lendemain matin en se frottant les tempes du bout des
doigts. Je n’ai de répit nulle part, ni au travail ni pendant mes loisirs.
Quant à Terentia, elle était de plus en plus obsédée par son
infécondité et se mit à aller prier chaque jour au temple de la Bonne Déesse,
sur le mont Aventin, dans l’enceinte duquel des serpents inoffensifs rampaient
librement afin de stimuler la fertilité et sur le sanctuaire duquel aucun homme
n’était autorisé à poser les yeux. J’appris également par sa servante qu’elle
avait dressé une sorte de petit autel à Junon dans sa chambre.
Secrètement, je pense que Cicéron partageait l’opinion de
Terentia sur Pompée. Il y avait quelque chose de douteux tout autant que de
glorieux dans la célérité de sa victoire (« Organisée à la fin de l’hiver,
lancée au début du printemps et achevée au milieu de l’été », selon la
formule de Cicéron), qui poussait à se demander si toute l’entreprise n’aurait
pas pu être parfaitement maîtrisée par un général désigné de façon normale. Son
succès demeurait cependant indéniable. Les pirates avaient été roulés comme un
tapis, chassés des eaux siciliennes et africaines vers l’est, en passant par la
mer Illyrienne et l’Achaïe avant d’être boutés hors de Grèce. Pour finir, ils
avaient été acculés par Pompée lui-même dans leur dernière place forte,
Corasesium, en Cilicie, et, lors d’une gigantesque bataille sur terre et sur
mer, dix mille d’entre eux avaient été tués et quatre cents vaisseaux détruits.
Vingt mille hommes avaient été faits prisonniers. Plutôt que de les faire
crucifier, comme Crassus l’aurait sans doute ordonné, Pompée avait choisi de
déporter les pirates avec femmes et enfants dans les villes dépeuplées de Grèce
et d’Asie Mineure – avec toute la modestie qui le caractérisait, il
rebaptisa l’une d’elles Pompéiopolis. Et il put agir ainsi sans même en référer
au Sénat.
Cicéron suivit les progrès du grand homme avec des
sentiments mêlés (« Pompéiopolis ! Par les dieux du ciel, quelle vulgarité ! »),
ne fût-ce que parce qu’il savait que, plus la réussite ferait enfler Pompée,
plus l’ombre qu’il projetterait sur sa propre carrière serait bénéfique. Une
préparation méticuleuse et la supériorité numérique : telles étaient les
tactiques préférées de Pompée, tant sur le champ de bataille qu’à Rome, et dès
que la première phase de sa campagne – la destruction des pirates – fut
terminée, la phase deux fut lancée au forum, quand Gabinius commença à
manœuvrer pour que le commandement des légions orientales soit retiré à
Lucullus pour être attribué à Pompée. Il eut recours au même subterfuge qu’auparavant
et se servit de ses prérogatives de tribun pour convoquer des témoins aux
rostres afin qu’ils donnent un compte rendu désolant de la guerre contre
Mithridate. Certaines légions, impayées depuis des années, avaient tout
simplement refusé de quitter leurs quartiers d’hiver. Gabinius opposa la
pauvreté de ces soldats ordinaires à la richesse immense de leur aristocratique
général, qui avait rapporté un tel butin de sa campagne qu’il avait pu acquérir
toute une colline à la sortie de Rome et y faisait édifier un grand palais,
dont chaque salle porterait le nom d’un dieu. Gabinius convoqua les architectes
de Lucullus et les fit mener aux rostres, où il les contraignit de montrer à la
foule tous leurs plans et maquettes. Le nom de Lucullus devint aussitôt
synonyme de luxe éhonté, et les citoyens en colère brûlèrent son effigie sur le
forum.
En décembre, Gabinius et Cornélius quittèrent leur fonction
de tribuns, et une nouvelle marionnette à la solde de Pompée, le tribun désigné
Caius Manilius, reprit la sauvegarde de ses intérêts au sein de l’assemblée
populaire. Il proposa immédiatement une loi accordant à Pompée la poursuite de
la guerre contre Mithridate ainsi que le gouvernement des provinces asiatiques
de Cilicie et de Bithynie – ces deux dernières étant aux mains de
Lucullus. Si Cicéron avait entretenu le moindre espoir qu’on l’oublie sur cette
affaire, il dut déchanter
Weitere Kostenlose Bücher