Imperium
mentionnés, il m’adressa
un regard pénétrant, et vit tout de suite qu’il était ferré, bien qu’il fût
trop poli pour le montrer.
— Dis-lui que je vais examiner cela à loisir, me dit-il
en me prenant les documents avant de repartir par où il était venu, comme si l’on
n’avait jamais placé quoi que ce fût de moins intéressant entre ses mains
manucurées – même si je suis certain qu’à l’instant où il se retrouva
hors de vue, il dut courir à sa bibliothèque pour en briser le sceau. Pour ma
part, je ressortis dans l’air frais et redescendis en ville par l’escalier
Caci, en partie parce que j’avais un peu de temps à tuer avant l’ouverture du
Sénat et pouvais me permettre de faire un long détour, en partie parce que l’autre
chemin me faisait passer beaucoup trop près de la maison de Crassus pour mon
goût. Je débouchai dans le quartier de la voie Étrusque, où sont situées toutes
les boutiques de parfums et d’encens. L’air embaumé se mêlait au poids de ma
fatigue pour me donner l’impression d’être drogué. J’avais l’esprit
curieusement séparé du monde réel et de ses soucis. À cette heure, le
lendemain, me souvins-je d’avoir pensé, le scrutin serait déjà bien entamé sur
le Champ de Mars, et nous saurions probablement si Cicéron deviendrait consul
ou pas mais, quelle que fût l’issue de l’élection, le soleil continuerait de
briller et il continuerait de pleuvoir en automne. Je m’attardais au forum
Boarium et regardais les gens acheter des fleurs, des fruits et tout le reste
en me demandant ce que ce serait que de n’avoir aucun lien avec la politique et
de vivre simplement, vita umbratilis, comme dit le poète, « une vie
dans l’ombre ». C’est ce que je projetais de faire quand Cicéron m’accorderait
ma liberté et ma ferme. Je mangerais les fruits de mon jardin, boirais le lait
des chèvres que j’élèverais ; je fermerais ma porte la nuit et me
moquerais totalement des élections. C’est le plus près que je me sois jamais
approché de la sagesse.
Lorsque j’arrivai enfin au forum, au moins deux cents
sénateurs s’étaient rassemblés dans le senaculum sous le regard avide d’une
foule de curieux – des gens de la campagne, à en juger par leur tenue
rustique, venus à Rome pour les élections. Figulus était assis sur la chaise
curule, à l’entrée de la curie, les augures près de lui, attendant un quorum
et, de temps à autre, un petit mouvement annonçait l’arrivée d’un candidat dans
le forum avec sa cohorte de partisans. Je vis Catilina arriver, avec son
curieux mélange de jeunes aristocrates et de voyous de la rue, puis Hybrida,
dont le ramassis bruyant de débiteurs et de joueurs tels que Sabidius ou
Panthera paraissait presque respectable en comparaison. Les sénateurs
commencèrent à entrer en file dans la chambre, et je craignis un instant qu’il
ne fût arrivé quelque chose à Cicéron quand, de la direction d’Argiletum, se
fit entendre un bruit de tambours et de flûtes. Deux colonnes de jeunes gens
pénétrèrent alors dans le forum, portant des rameaux fraîchement coupés
au-dessus de leur tête, avec des enfants excités qui couraient tout autour d’eux.
Ils furent suivis par une foule de chevaliers romains respectables conduits par
Atticus, puis venait Quintus avec une bonne dizaine de sénateurs des bancs du
fond. Des jeunes filles semaient au vent des pétales de roses. Ce spectacle
était bien meilleur – et de loin – que tout ce que ses
rivaux avaient réussi à présenter, et la foule autour de moi l’accueillit avec
des applaudissements. Au centre de toute cette activité tourbillonnante, dans l’œil
du cyclone, marchait le candidat lui-même, revêtu de la toga candida éclatante
qui l’avait déjà vu remporter trois élections. J’avais rarement l’occasion de
le voir de loin – je me trouvais généralement coincé derrière lui – et,
pour la première fois, je pus apprécier ses dons naturels de comédien : il
lui suffisait d’endosser le costume pour être le personnage. Toutes les
qualités que la blancheur traditionnelle était censée symboliser – la
clarté, l’honnêteté, la pureté – semblaient s’incarner dans cette
stature solide et ce regard assuré tandis qu’il passait devant moi sans me
voir. Je savais, à sa façon de marcher et à son expression détachée, qu’il
était tout à son discours. Je m’immisçai en queue de
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