Imperium
une
fenêtre minuscule qui n’offrait d’autre vue qu’un immeuble similaire, tellement
proche qu’il aurait suffi à Sthenius de tendre le bras pour serrer la main au
voisin d’en face. Enfin, un seau faisait office de latrines. Mais, s’il ne lui
procurait aucun confort, cet endroit avait le mérite de lui offrir la sécurité – lâché,
inconnu, dans ce ramassis de taudis, il serait presque impossible de le
retrouver. Il me demanda sur un ton plaintif de rester un moment avec lui, mais
il fallait que je rentre pour rassembler tous les documents relatifs à son
affaire, afin que Cicéron pût les présenter aux tribuns. Je lui expliquai que
nous luttions contre le temps, et partis aussitôt.
Le siège des tribuns se trouvait juste à côté du Sénat, dans
la vieille basilique Porcia. Bien que le collège des tribuns ne représentât
plus qu’une coquille vide, dont on avait aspiré toute substance de pouvoir, il
y avait toujours des gens qui traînaient autour du bâtiment. Les révoltés, les
dépossédés, les affamés, les militants – tels étaient les habitués de
la basilique des tribuns. Tandis que Cicéron et moi traversions le forum, nous
vîmes une foule importante qui se bousculait pour voir ce qui se passait à l’intérieur.
Je portais un coffret à documents mais m’efforçais tout de même d’ouvrir du
mieux que je pouvais un passage pour le sénateur, recevant quelques coups et
insultes pour ma peine, car ce n’étaient pas là des citoyens qui appréciaient
beaucoup la toge bordée de pourpre.
Il y avait dix tribuns, élus chaque année par la plèbe, et
ils siégeaient toujours sur le même long banc de bois, sous une fresque
représentant la défaite des Carthaginois. Ce n’était pas une grande bâtisse,
mais elle était bondée, bruyante et surchauffée malgré le froid de décembre.
Lorsque nous entrâmes, un jeune homme, étrangement pieds nus, haranguait la
foule. Il était très laid, avec un visage abîmé et une voix rude, rocailleuse.
Il y avait toujours beaucoup d’excentriques dans la basilique Porcia, et je le
pris pour l’un d’eux, vu que son discours semblait porter entièrement sur la
nécessité de ne démolir en aucun cas ni même déplacer du moindre centimètre un
pilier précis pour faire davantage de place aux tribuns. Cependant, pour quelque
mystérieuse raison, il forçait l’attention. Cicéron se mit à l’écouter très
attentivement et, au bout de quelques instants, il s’aperçut – à ses
constantes références à ses « ancêtres » – que ce curieux
personnage n’était autre que l’arrière-petit-fils du fameux Marcus Porcius
Caton, qui avait fait construire cette basilique et lui avait donné son nom.
Si je mentionne cette anecdote, c’est parce que le jeune
Caton – il avait alors vingt-trois ans – allait jouer un
rôle très important à la fois dans la vie de Cicéron et dans la mort de la
République. Non que cela pût se deviner à l’époque : il ne paraissait pas
destiné à autre chose qu’à l’asile. Il termina sa harangue puis, quittant son
poste, les yeux fous, sans rien voir, me rentra dedans. Ce qui me reste en
mémoire, c’est l’odeur forte et animale qui émanait de lui, ses cheveux trempés
de sueur et les taches de transpiration grosses comme des assiettes qui
maculaient sa tunique, sous les aisselles. Il avait cependant eu gain de cause,
et le pilier resta à sa place aussi longtemps que la bâtisse tint debout – ce
qui ne devait, hélas, durer que quelques années seulement.
Quoi qu’il en soit, pour en revenir à mon récit, les tribuns
formaient dans l’ensemble une assez piètre assemblée, mis à part l’un de ses
membres, qui se détachait du lot par son talent et son énergie – je
veux parler de Lollius Palicanus. C’était un homme fier mais de basse
extraction, originaire de Picenum, au nord-est de l’Italie – base
politique de Pompée le Grand. On avait supposé que lorsque Pompée rentrerait d’Espagne,
il se servirait de son influence afin d’obtenir la préture pour son
compatriote, aussi Cicéron avait-il été, comme tout le monde, surpris d’apprendre
l’été précédent que Palicanus avait soudain posé sa candidature pour le
tribunat. Ce matin-là, il semblait cependant très heureux de son sort. Les
nouveaux tribuns commençaient toujours leur mandat le 10 décembre, aussi
découvrait-il tout juste son nouvel emploi.
— Cicéron !
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