Imperium
que je satisfais à toutes
les autres conditions – j’ai tué cinq mille hommes au combat, je me
suis battu sous les auspices, j’ai été nommé imperator par les légions, j’ai
apporté la paix dans la province et retiré mes troupes. Si quelqu’un doté de
ton influence devait déposer une motion au Sénat, il me trouverait très
généreux.
Il y eut un long silence, et je me demandais comment Cicéron
allait se sortir de ce dilemme.
— Le voilà, ton triomphe, imperator ! s’écria-t-il
soudain en montrant la direction de la voie Appienne. Voilà le monument élevé
au genre d’homme que tu es ! Aussi longtemps que les Romains auront une
langue pour parler, ils se souviendront du nom de Crassus comme de celui qui a
fait crucifier six mille esclaves sur une distance de trois cent cinquante
milles, chaque croix séparée de la suivante par trois cent cinquante pas. Aucun
de nos autres grands généraux n’aurait jamais fait une chose pareille. Scipion
l’Africain, Pompée, Lucullus…, énonça Cicéron en les écartant d’un geste
méprisant, aucun d’entre eux n’aurait jamais conçu une telle idée.
Cicéron s’appuya contre le dossier et sourit à Crassus.
Crassus sourit à son tour. Le temps s’éternisa. Je commençais à transpirer. C’était
un concours pour déterminer quel sourire allait se fissurer le premier. Crassus
finit par se lever et tendit la main à Cicéron.
— Merci infiniment d’être venu, mon jeune ami, dit-il.
Lorsque le Sénat se réunit quelques jours plus tard pour
déterminer les honneurs à décerner, Cicéron vota avec la majorité pour refuser
le triomphe à Crassus. Le vainqueur de Spartacus dut se satisfaire d’une simple
ovation, soit une récompense de seconde classe. Au lieu d’entrer dans la cité
sur un chariot tiré par quatre chevaux, il devrait aller à pied ; l’habituelle
fanfare de trompes serait remplacée par le son aigu des flûtes ; et au
lieu de la couronne de laurier, il ne serait autorisé qu’à porter la myrte.
— Si ce type a le moindre sens de l’honneur, commenta
Cicéron, il refusera.
Inutile de dire que Crassus s’empressa d’envoyer un message
pour signifier qu’il acceptait.
Une fois que la discussion passa aux honneurs à accorder à
Pompée, Afranius utilisa un stratagème des plus rusés. Il se servit de son rang
prétorien pour intervenir tôt dans le débat et déclara que Pompée accepterait
avec une humble gratitude tout ce que la chambre jugerait bon de lui accorder :
il arriverait devant la ville le lendemain avec dix mille hommes, et comptait
pouvoir remercier en personne autant de sénateurs que possible. Dix mille
hommes ? Après cela, même les aristocrates se montrèrent, en public du
moins, peu désireux de traiter de haut le conquérant d’Espagne et, par un vote
unanime, les consuls eurent pour instruction d’aller voir Pompée dès que
celui-ci serait prêt et de lui offrir un triomphe en bonne et due forme.
Le lendemain matin, Cicéron se vêtit avec plus de soin
encore que de coutume et s’entretint avec Quintus et Lucius pour déterminer
quel parti prendre dans ses discussions avec Pompée. Il opta pour une approche
hardie. Il aurait trente-six ans l’année suivante et deviendrait éligible pour
un poste d’édile de Rome – il y en avait quatre à élire chaque année.
Les fonctions de cette charge – l’entretien des édifices publics et
le maintien de l’ordre public, la célébration des fêtes diverses et la
délivrance des licences de commerce, etc. – se révélaient très utiles
pour consolider un soutien politique. Il fut donc convenu que c’est ce qu’il
demanderait : que Pompée soutienne sa candidature au poste d’édile.
— Je crois que je l’ai bien gagné, commenta Cicéron.
Une fois cela décidé, nous rejoignîmes la foule des citoyens
qui partaient vers le Champ de Mars, où, disait-on, Pompée avait l’intention de
cantonner ses légions. (Il était, du moins à cette époque, illégal de porter l’imperium militaire à l’intérieur de l’enceinte de Rome, aussi Crassus et Pompée
étaient-ils contraints, s’ils voulaient conserver le commandement de leurs
armées, de préparer leurs plans depuis l’extérieur des portes de la ville.)
Chacun voulait voir à quoi ressemblait le grand homme car l’Alexandre romain,
comme ses partisans appelaient Pompée, combattait au loin depuis près de sept
ans. Certains se demandaient s’il
Weitere Kostenlose Bücher