Imperium
rumeurs comme quoi
Verres avait déjà vidé sa maison et s’apprêtait à fuir en exil.
Telle était donc la situation au neuvième jour, quand nous
fîmes venir Annius et Numitorius au tribunal. Il ne restait plus que deux jours
avant les grands jeux de Pompée, et la foule qui occupait le forum était plus
dense que jamais. Verres arriva en retard, et visiblement ivre. Il trébucha en
montant les marches du temple jusqu’au tribunal, et Hortensius dut le soutenir
tandis que le public hurlait de rire. Lorsqu’il passa devant Cicéron, il lui
adressa de ses yeux injectés de sang un regard consterné où se mêlaient la peur
et la rage – le regard affolé d’un animal pourchassé, acculé. Cicéron
ne perdit pas de temps et appela son premier témoin, Annius, qui rapporta qu’un
matin, alors qu’il inspectait une cargaison sur le port de Syracuse, un ami
était arrivé en courant pour lui annoncer que leur associé, Herennius, était
enchaîné sur le forum et tentait de défendre sa tête.
— Qu’as-tu fait, alors ?
— Je m’y suis rendu tout de suite, naturellement.
— Et qu’as-tu découvert ?
— Il y avait peut-être une centaine de personnes sur
place qui hurlaient qu’Herennius était un citoyen romain et ne pouvait être
exécuté sans un procès en bonne et due forme.
— Comment savais-tu qu’Herennius était un citoyen
romain ? N’était-ce pas un banquier qui arrivait d’Espagne ?
— Beaucoup d’entre nous le connaissaient
personnellement. Même s’il avait des affaires en Espagne, il était né à
Syracuse, d’une famille romaine et avait grandi dans cette ville.
— Et quelle a été la réponse de Verres à vos
protestations ?
— Il a ordonné qu’Herennius soit décapité sur-le-champ.
Un grondement d’horreur parcourut le tribunal.
— Qui a assené le coup fatal ?
— Le bourreau, Sextius.
— A-t-il fait son travail vite et bien ?
— Pas vraiment, non.
— De toute évidence, dit Cicéron en se tournant vers le
jury, il n’avait pas versé de pots-de-vin suffisants à Verres et à sa bande de
malfaiteurs.
Pendant la majeure partie du procès, Verres était resté vautré
sur son siège, mais ce matin-là, poussé par l’alcool, il bondit et se mit à
crier qu’il n’avait jamais touché de pots-de-vin. Hortensius dut le faire
asseoir. Cicéron ne lui prêta aucune attention et continua de questionner
calmement son témoin.
— Voilà une situation extraordinaire, non ? Une
centaine d’entre vous se portent garants de l’identité de ce citoyen romain,
mais Verres n’attend même pas une heure pour vérifier qui il est véritablement.
Comment expliques-tu cela ?
— Je l’explique très simplement, sénateur. Herennius
était passager sur un bateau venu d’Espagne qui a été confisqué avec toute sa
cargaison par les agents de Verres. Il a été envoyé aux Carrières avec tous
ceux qui se trouvaient à bord, puis traîné en place publique pour y être exécuté
comme pirate. Ce que Verres ne savait pas, c’est qu’Herennius n’était pas du
tout espagnol. Il était connu de la communauté romaine de Syracuse et ne
pouvait manquer d’être identifié. Mais quand Verres s’est aperçu de son erreur,
il était trop tard pour libérer Herennius parce qu’il en savait trop sur les
manœuvres du gouverneur.
— Pardonne-moi, mais je ne comprends pas très bien,
intervint Cicéron, en jouant les ingénus. Pourquoi Verres voudrait-il exécuter
le passager innocent d’un navire de marchandises en le faisant passer pour un
pirate ?
— Il avait besoin d’un certain nombre d’exécutions.
— Pourquoi ?
— Parce qu’il avait été payé pour libérer les vrais
pirates. Verres s’était relevé et hurlait que c’était un mensonge. Cette fois,
Cicéron ne fit pas comme s’il ne l’avait pas entendu mais alla se planter
devant lui.
— Un mensonge, espèce de monstre ? Un mensonge ?
Pourquoi, alors, les registres de ta prison font-ils mention de la libération d’Herennius ?
Et pourquoi stipulent-ils que le célèbre pirate Heracleo a été exécuté alors
que personne sur l’île ne l’a vu mourir ? Je vais te dire pourquoi – c’est
parce que toi, le gouverneur de Rome responsable de la sécurité des mers, tu te
faisais payer par les pirates eux-mêmes !
— Cicéron, le grand avocat qui se croit si intelligent,
commenta Verres avec amertume, son articulation rendue pâteuse par
Weitere Kostenlose Bücher