Imperium
continuaient. Et c’est là-dessus que s’acheva
l’épuisante accusation contre Gaius Verres.
Cet après-midi-là, le Sénat se réunit pour sa séance de
clôture avant les quinze jours de vacances des jeux de Pompée. Lorsque Cicéron
eut fini d’arranger les choses avec les Siciliens, il était en retard pour le
début de la séance, et nous dûmes traverser le forum au pas de course depuis le
temple de Castor jusqu’à la curie. Crassus, consul qui présidait le Sénat ce
mois-ci, avait déjà réclamé le silence et lisait la dernière dépêche de
Lucullus sur l’évolution de la campagne sur le front de l’Est. Plutôt que de l’interrompre
en faisant une entrée remarquée, Cicéron resta sur le seuil de la salle, et
nous écoutâmes le rapport de Lucullus. Le général aristocrate avait, selon ses
propres dires, remporté toute une série de victoires éclatantes et pénétré dans
le royaume de Tigrane, où il avait vaincu le roi lui-même pendant la bataille
et massacré des dizaines de milliers d’ennemis, s’enfonçant en territoire
hostile pour capturer la ville de Nisibisis et prendre le frère du roi en
otage.
— Crassus doit en être malade, me glissa joyeusement
Cicéron. Sa seule consolation est de savoir que Pompée en est encore plus vert
de jalousie.
De fait, Pompée, assis à côté de Crassus, bras croisés,
semblait plongé dans une rêverie morose.
Quand Crassus eut terminé, Cicéron profita de la pause pour
pénétrer dans la salle. Il faisait chaud et les rais de lumière en provenance
des hautes fenêtres illuminaient des tourbillons scintillants de moucherons. Il
remonta l’allée centrale d’un pas décidé, tête dressée, et observé par tous,
dépassant son ancienne place dans l’ombre, près de la porte, pour se diriger
vers l’estrade consulaire. Le banc des prétoriens semblait plein, mais Cicéron
se plaça patiemment à côté, attendant un peu avant de revendiquer la place qui
lui revenait, car il savait, comme toute l’assemblée savait, que la récompense
traditionnelle des accusateurs victorieux était l’appropriation du rang du
vaincu. Je ne sais pas combien de temps dura le silence, mais il me parut
terriblement long alors que seuls les pigeons se faisaient entendre sous le
toit. C’est Afranius qui finit par lui faire signe de venir s’asseoir près de
lui et dégagea suffisamment d’espace en poussant sans ménagement ses voisins
sur le banc de bois.
Cicéron se fraya un passage entre une demi-douzaine de
jambes étendues et s’immisça à sa place en affichant un air de défi. Il jeta
alentour un coup d’œil sur ses rivaux, croisant et soutenant le regard de
chacun. Nul ne le provoqua. Enfin, quelqu’un se leva pour prendre la parole et,
d’une voix réticente, félicita Lucullus et ses légions victorieuses – en
y réfléchissant, il s’agissait peut-être de Pompée. Peu à peu, le murmure bas
des conversations chuchotées reprit.
Je ferme les yeux et je vois encore leurs visages dans la
lumière dorée de cette fin d’après-midi estivale – Cicéron, Crassus,
Pompée, Catulus, Catilina, les frères Metellus – et il m’est
difficile de croire que ces hommes et leurs ambitions, ainsi que l’édifice même
où ils se tenaient, ne sont plus aujourd’hui qu’un peu de poussière.
DEUXIÈME PARTIE
PRÉTORIEN
68 av. J.-C. – 64 av. J.-C.
Nam
eloquentiam quae admirationem non habet nullam iudico.
« L’éloquence
qui n’étonne pas ne m’apparaît pas comme de l’éloquence. »
Cicéron, lettre à
Brutus, 48 av. J.-C.
X
Je propose de reprendre mon récit un peu plus de deux ans
après le moment où s’achève le dernier rouleau – ellipse qui, je le
crains, en dit beaucoup sur la nature humaine. En effet, si vous me demandiez :
« Tiron, pourquoi veux-tu éluder une si longue période de la vie de
Cicéron ? », je serais obligé de vous répondre : « Parce
que, mon ami, ces années ont été heureuses, et qu’il n’y a rien de plus
ennuyeux à lire que le bonheur. »
L’édilité du sénateur s’avéra une grande réussite. Il était
principalement chargé de l’approvisionnement de la ville en céréales bon marché
et, en cela, le procès contre Verres lui fut très utile. Afin de lui prouver
leur gratitude pour les avoir défendus, non seulement les fermiers et marchands
de grain de Sicile l’aidèrent à maintenir leur prix bas, mais ils lui firent
même présent de toute
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