Interdit
glissa hors du lit et alluma des bou-
gies tout autour de la pièce jusqu’à ce qu’il n’y ait plus
aucune ombre où des ennemis pourraient se cacher. Il
retourna alors se coucher, aussi silencieusement qu’il s’était
levé.
— Duncan ?
Il sursauta de nouveau. Puis, il se tourna vers la voix qui
lui était à la fois familière et curieusement étrangère. Les
pensées se déchaînaient comme des éclairs noirs dans
les ténèbres de son esprit.
« Elle ne fait pas partie de mon passé.
» Danger !
» Je suis entouré d’ennemis.
» Danger ! »
Pourtant, alors qu’une partie de lui l’avertissait d’un
péril, ses souvenirs les plus récents prirent le dessus. Car il
ELIZABETH LOWELL
n’avait rien connu d’autre que la douceur et la passion incan-
descente depuis qu’il était arrivé au château de Stone Ring.
« Est-ce que je deviens fou ?
» Serai-je déchiré en deux et condamné à mourir tandis
que les ombres et la lumière ambrée livrent bataille pour
mon âme ? »
La seule réponse qui lui vint fut un silence interne four-
millant de contradictions.
Le passé oublié prenait forme dans son esprit. Des fils
aléatoires et des motifs fragmentés, des noms sans visages,
des lieux sans noms, des visages sans lieux. Il était une
tapisserie déchirée et élimée, défaite autant que tissée, dont
les fils s’emmêlaient et s’effilochaient.
Quelques fois, et c’étaient les pires, il voyait les ténèbres
reculer, révélant sa mémoire. Alors, il connaissait le déses-
poir qui, telle une glace noire, figeait tout.
Il craignait la mémoire qui lui revenait.
« Que m’arrive-t-il ? Bon sang, pourquoi ai-je peur de ce
que je désire tant ! »
Il grogna et se prit la tête entre les mains. Un instant
après, des doigts à la fois doux et pressants caressèrent ses
poings serrés.
— Sombre guerrier, murmura Ambre. Soyez en paix.
Si Duncan l’entendit, il ne dit rien.
De chaudes larmes coulèrent sur les joues d’Ambre
lorsqu’elle partagea la douleur de Duncan.
Et sa peur.
Comme lui, elle sentait la guérison lente de sa mémoire.
Elle voyait des visages là où il n’y avait eu que ténèbres,
318
INTERDIT
entendait des noms là où seul le silence avait régné, sentait
le transport du temps faire son travail. Le motif qui allait se
tisser manquait, mais il allait, également, revenir. Elle en
était sûre.
Et alors, elle connaîtrait le courroux d’un guerrier fier
qui avait été vaincu en secret plutôt qu’autorisé à se battre
comme il y était destiné.
« Il est trop tôt. Duncan a passé si peu de temps avec
moi. Deux semaines avant que nous ne soyons amants. À
peine deux semaines que nous sommes mariés. Pas assez
de temps pour apprendre à m’aimer.
» Mon Dieu, pas assez de temps, du tout.
» Seul l’amour pourrait pardonner une si grande trom-
perie. S’il se souvient trop tôt, jamais il ne me pardonnera.
» Jamais il ne m’aimera.
» Et la mort viendra, inéluctablement. »
Ambre ne sut si elle l’appela avec ses lèvres ou avec son
cœur. Elle sut seulement que, soudain, ils se serraient si fort
l’un contre l’autre qu’elle pouvait à peine respirer.
— Précieuse Ambre, dit Duncan d’une voix pénétrante.
Que ferais-je sans vous ?
Les larmes brûlaient sur ses yeux et lui serraient la
gorge.
— Vous vous en sortiriez mieux que moi sans vous,
murmura-t-elle. Vous êtes le cœur qui bat en moi.
Duncan sentit l’écoulement chaud des larmes d’Ambre.
Il relâcha doucement son étreinte.
— Ne pleurez pas, dit-il. Ce n’était qu’un rêve, nul
besoin de vous inquiéter.
319
ELIZABETH LOWELL
Ambre savait, avec une précision d’Érudite, que ce qui
s’était passé dans son esprit n’avait rien d’un rêve. Et il le
savait aussi bien qu’elle.
Pourtant, elle ne dit rien de ce doux mensonge. Elle ne
désirait pas plus que lui trouver dans les fils amoncelés
et douloureux de sa mémoire la vérité qu’elle craignait plus
que la mort elle-même.
— Duncan, murmura-t-elle.
Le son était plus une caresse qu’un mot. Elle l’avait dit
en pressant ses lèvres dans son cou.
Le corps de Duncan se raidit, puis il frissonna et se
durcit avec une tension différente. Ce n’était pas celle de son
esprit en guerre. Il sentit une ondulation de sensation passer
dans le corps d’Ambre pour lui répondre. Il savait qu’elle
sentait aussi clairement que lui son
Weitere Kostenlose Bücher