Interdit

le gant de cuir. Le
    vent tirait la cape bronze d’Erik, faisant virevolter le tissu,
    laissant apparaître la tunique indigo qu’il portait en des-
    sous. Le pommeau de son épée brillait comme un éclair
    d’argent.
    — Si je cède Sea Home comme on donne le soulier d’une
    femme à un mariage, dit-il enfin, tous les hors-la-loi des
    Terres contestées vont débarquer dans l’espoir d’avoir une
    part du butin.
    Cassandra secoua la tête.
    — Je n’ai pas vu une telle chose dans mes visions.
    — Et cela n’arrivera pas, rétorqua-t-il. Je me battrai
    jusqu’à la dernière goutte de sang avant de céder le château
    de Stone Ring à Dominic le Sabre !
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    INTERDIT
    L’air malheureux, Cassandra regarda ses mains, presque
    dissimulées par ses longues manches écarlates. De riches
    broderies vertes et bleues piquées dans le tissu scintillaient,
    comme une rivière d’eau traversant le feu.
    — J’ai rêvé, dit-elle simplement.
    L’impatience se lut dans le regard d’Erik.
    — De quoi ? demanda-t-il d’un ton brusque. De batailles
    et de sang, et de châteaux tombant pierre par pierre ?
    — Non.
    Il attendit.
    Cassandra regarda ses longs doigts soigneusement
    entretenus. Une bague ornée de trois gemmes brillait aussi
    intensément que les broderies de sa robe. Le saphir pour
    l’eau. L’émeraude pour les choses vivantes. Le rubis pour le
    sang.
    — Dites-moi, ordonna Erik.
    — Un bourgeon rouge. Une île verte. Un lac bleu. Unis
    ensemble. Et au loin, une tempête puissante qui attend.
    Le faucon ouvrit le bec, comme si le jour, au lieu d’être
    frais, était trop chaud. Erik calma l’oiseau d’un air absent,
    sans quitter des yeux le visage sans âge de Cassandra.
    — La tempête tourbillonnait et touchait le bourgeon
    rouge, dit-elle. Il fleurissait avec une grande beauté… mais il
    fleurissait dans la tempête .
    Erik plissa les yeux.
    — Puis, l’île verte était touchée, continua Cassandra. La
    tempête l’entourait, la caressait, la possédait.
    Erik parut surpris, mais ne dit rien. Il se contentait de
    caresser le faucon agité avec des gestes lents, apaisants.
    — Seule l’eau bleue du lac demeurait intacte, dit-elle.
    Mais elle désirait ardemment la tempête, où la fleur
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    ELIZABETH LOWELL
    fleurissait de richesses écarlates et où l’île vibrait de nuances
    de vert.
    Le vent fléchit, tirant la cape d’Erik et les longs pans de
    robe de Cassandra. Le faucon siffla et replia ses ailes, obser-
    vant le ciel de ses yeux avides.
    — Est-ce tout ? demanda Erik.
    — Cela ne suffit pas ? rétorqua Cassandra. Là où vont le
    cœur et le corps, l’âme ne tardera pas à suivre. Alors, une
    vie riche pourrait se déployer, mais la mort inéluctablement
    viendra frapper !
    — La prophétie d’ambre, souffla Erik. Toujours cette
    maudite prophétie.
    — Vous auriez dû laisser Duncan mourir à Stone Ring.
    — Alors, le bourgeon ne se serait jamais ouvert, et l’île
    n’aurait jamais vibré de nuances de vert. De vie .
    — Mais ce n’est pas…
    — Votre rêve décrit la richesse de la vie, non la mort,
    continua Erik sans pitié. Cela ne vaut-il pas la peine de
    prendre quelques risques ?
    — Vous risquez la catastrophe.
    — Non, dit-il brutalement. La catastrophe me menace
    déjà ! Mon père est si enchevêtré dans les rivalités claniques
    qu’il refuse de libérer des guerriers pour défendre ses terres
    isolées.
    — Cela a toujours été ainsi.
    — Je dois avoir des guerriers, dit-il. Des guerriers puis-
    sants. Duncan en est un. Avec lui, je peux tenir le château
    de Stone Ring. Sans lui, il est perdu.
    — Alors abandonnez-le, et Duncan avec !
    — Celui qui tient ces terres possède la clé des Terres
    contestées.
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    INTERDIT
    — Mais…
    — Celui qui tient les Terres contestées, continua-t-il
    sans répit, a une épée sous la gorge des seigneurs du nord
    d’ici aux terres rocheuses de Dun Eideann.
    — Je n’ai point rêvé d’une telle guerre.
    — Excellent, dit doucement Erik. Cela veut dire que les
    grands risques seront effectivement récompensés par une
    victoire.
    — Ou par la mort, rétorqua Cassandra.
    — Nul besoin de don prophétique pour voir la mort.
    C’est le destin commun des choses vivantes.
    — Seigneur buté, dit-elle avec rage. Pourquoi ne voyez-
    vous pas le danger de ce que vous faites ?
    — Pour la même raison que vous ne voyez pas le danger
    de ne rien faire !
    Avec un geste puissant de la