Interdit
Aucune raison d’être, aucune signification ne
déchirait les ténèbres de sa conscience. Aucun visage, qu’il
soit bien-aimé ou haï.
Comme si l’étranger n’avait pas de souvenirs.
Sans s’en rendre compte, elle se rapprochait à nouveau
de lui. Elle le toucha, se forçant à faire fi du plaisir comme
elle avait appris à ignorer la souffrance. Arrachant un à un
les pétales de ces sensations captivantes jusqu’alors incon-
nues, elle se mit en quête des souvenirs de l’étranger.
18
INTERDIT
Il n’y en avait aucun. Son esprit n’était fait que de douces
lueurs qui disparaissaient peu à peu.
On aurait dit un nouveau-né.
— Je ne sens rien de corrompu en lui, dit-elle enfin.
C’est comme toucher un nourrisson.
Erik grommela.
— Le plus gros nourrisson que j’aie jamais vu !
Ambre retira sa main.
— Que pouvez-vous me dire d’autre ? demanda Erik.
Elle serra si fort les poings qu’elle se fit presque mal. Elle
ne voulait pas partager ses peurs avec Erik et, pourtant, ses
questions se rapprochaient de plus en plus de la cause de
son malaise. Une peur qu’elle reconnaissait chaque fois
qu’elle la refusait.
« Grand guerrier, ennemi mortel et âme sœur à la fois.
» Non ! J’ignore qui il est !
» Je sais seulement que c’est un homme sans nom très
sûr de ses talents de guerrier. »
— D’habitude, vous posez les questions, et la personne
que je touche y répond. Et je peux savoir s’il dit vrai, dit-elle
doucement. Cette fois-ci, c’est… différent.
Erik regarda l’étranger, inconscient, puis Ambre, qui lui
semblait presque une étrangère à présent.
— Vous allez bien ? demanda-t-il doucement.
Elle sursauta.
— Oui.
— Vous avez l’air perdue.
Elle eut du mal à sourire, mais y parvint.
— C’est de le toucher, dit-elle.
— Je suis désolé.
19
ELIZABETH LOWELL
— Ne le soyez pas. Dieu ne nous envoie rien que nous
ne saurions supporter.
— À moins de mourir en essayant, dit-il sèchement.
Le sourire d’Ambre s’effaça tandis que les mots de la
prophétie résonnaient de nouveau en elle.
— La mort inéluctablement viendra frapper.
20
c 2
Le parfum des pins embaumait la chaumière d’Ambre.
Les bougies vacillaient dans leurs chandeliers au-
dessus du lit, jetant une lumière dorée sur l’homme sans
nom. Un homme captif plongé dans un sommeil sans rêves.
Ambre était certaine qu’il ne rêvait pas. Cela faisait deux
jours qu’elle lui appliquait des onguents sur le corps et
qu’elle lui insufflait sa chaleur. Elle n’avait rien perçu de
nouveau dans l’obscurité de sa mémoire. Mais le plaisir
qu’elle ressentait en le touchant était resté aussi fort que la
première fois.
Tout en s’occupant de lui, elle parlait à l’étranger. Elle
essayait de l’atteindre, par les mots, la chaleur de sa peau
contre la sienne, ou par le pouvoir guérisseur de l’ambre et
des pins.
— Mon sombre guerrier, chuchota-t-elle comme
maintes fois auparavant. Comment êtes-vous arrivé à Stone
Ring ?
Ses mains massaient d’abord un bras puissant, puis
l’autre, sculptant ses muscles, fermes malgré son état de
relâchement. La toison noire qui recouvrait ses avant-bras
luisait d’huiles sous la lueur des bougies. Ses poignets
étaient retenus par de grosses cordes. Elle n’aimait pas le
voir ainsi retenu au cadre du lit. Elle toucha pensivement
l’un de ses liens, sans toutefois le dénouer.
Erik avait exigé que l’étranger soit attaché, ou bien il
ferait venir l’un de ses écuyers pour veiller sur elle en
ELIZABETH LOWELL
permanence. Elle avait choisi les liens, car elle voulait être
seule si l’homme se réveillait et qu’il se révélait être l’en-
nemi qu’elle redoutait.
Ambre ignorait ce qu’elle ferait si cela se produisait. Elle
se refusait à y penser, car il n’existait pas de solution au
dilemme que cela causerait.
« Ennemi et âme sœur à la fois. »
— Étiez-vous à pied ? Étiez-vous seul ?
Pas de réponse. Seulement le rythme lent de la large
poitrine de l’homme qui se soulevait et s’abaissait.
— Vos yeux sont-ils gris de glace et d’hiver, comme
ceux de Dominic le Sabre ? Ou sont-ils plus noirs, comme on
le dit de ceux du Fléau Écossais ? Ou bien êtes-vous un troi-
sième guerrier, inconnu, revenu de terre sarrasine avec la
certitude de votre propre puissance ?
Aucune altération dans la respiration profonde et
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