Jack Nicholson
Nicholson était moins prolixe, a expliqué le réalisateur, Penn, à l’occasion d’une interview. Brando était expérimental – il adorait trouver des idées d’avant-garde, voire d’avant-avant-garde, pour ses personnages. Nicholson était plus secret et plus pragmatique. Tout ce qu’il voulait, c’était arriver sur le plateau, faire sa scène et s’en aller avec le gros de la troupe.
« Jack a un je-ne-sais-quoi qui danse derrière ses yeux, explique Penn, une idée ou un secret, une chose qu’il a trouvée et qui guide son jeu. C’est un truc que l’on retrouve chez beaucoup d’autres acteurs. Mais avec Jack, c’est plus important. Et surtout plus discret. Il garde ça en réserve, et on ne le voit pas venir, comme c’est souvent le cas avec les autres. »
Brando en était arrivé à la conclusion que le justicier était un homme extrêmement torturé, ayant sans doute de multiples personnalités, ce qui lui fournissait une excuse pour passer d’un accent à l’autre, faire des mimiques comiques, revêtir des habits de femme et prendre des poses de gays, alors qu’il jouait le rôle d’un tueur impitoyable.
En observant les premières scènes de Brando, Jack, assis dans son fauteuil, riait comme un fou. Il avait l’air d’humeur enjouée. Lorsqu’il quittait le plateau, le soir, il renouait avec une habitude de lycéen qui était l’un de ses caprices préférés à la ville. De la porte de sa caravane, Nicholson montrait ses fesses, et tous les gens qui le voyaient, Brando compris, riaient à gorge déployée.
(L’attitude qui consistait à baisser son pantalon et à montrer ses fesses en public était également typique de Brando. Il se peut d’ailleurs que Nicholson l’ait empruntée à Brando et intégrée à son propre répertoire.)
Les scènes où ils apparaissaient tous les deux figuraient dans le script de McGuane mais furent développées de façon improvisée. « Comme la scène dans le jardin où Tom Logan (Nicholson) est en train de creuser des canaux d’irrigation quand le justicier arrive, se souvient Penn. C’est une petite scène qu’ils ont réussi à prolonger et à amplifier sur le plateau. L’occasion était trop bonne, et il y avait tellement peu d’occasions de ce type dans le film, de moments où ces deux poids lourds étaient à l’écran au même moment, que l’on n’a pas pu s’empêcher de sauter dessus et d’en tirer parti. »
Observer leurs échanges était chose merveilleuse. Brando était ingénieux, joueur, complètement imprévisible. Ces circonlocutions excentriques étaient plus McGuane que McGuane. Et Jack réagissait promptement à toutes les postures étranges que prenait Brando. « Jack aimait qu’on lui lance la balle au moment où il s’y attendait le moins, dit Penn. C’était un joueur de ce type-là. »
Cependant, le contrat de Brando exigeait que tous les dialogues de la grande star soient tournés en premier, ce qui tendit à aggraver les points faibles de la continuité. D’autre part, au bout d’un moment, les manipulations incessantes que Brando faisait avec ses scènes devenaient tout simplement ennuyeuses.
Brando et Penn commencèrent à se disputer à propos de certaines scènes, des mimiques de l’acteur et des infidélités qu’il faisait au texte. L’agréable et sympathique Penn, renommé pour les bons rapports qu’il entretenait avec les comédiens, demandait à la star de ne pas s’écarter de la piste. Brando s’en allait alors furieux dans sa loge, refusant d’en sortir jusqu’à ce que Penn eût accepté de tourner la scène à sa façon. Nicholson était consterné par ce comportement, cause de l’échec de Penn.
« Marlon inventait des histoires impossibles pendant certaines prises, se souvient Penn. Et de temps en temps, Nicholson, en véritable acteur, se laissait influencer par ces histoires, qu’il réussissait à traduire dans la scène. Mais il arrivait à s’en défaire après la prise, en secouant la tête. »
Et ce n’était pas tout. Brando était connu pour s’appuyer sur des fiches, des morceaux de papier sur lesquels étaient écrites ses répliques. Nicholson, qui avait une mémoire phénoménale, ne pouvait s’empêcher de le lui reprocher. « Marlon est toujours le plus grand acteur du monde, se plaignit-il auprès d’un journaliste du New York Times Magazine venu sur le plateau pour rédiger un portrait de lui, alors pourquoi a-t-il besoin de ces foutues
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